Je me dis parfois (à jeun) qu'il serait intéressant d'enrichir l'alphabet de quelques lettres nouvelles comme la voyelle
ou la consonne
Chaque famille a, ici, sa recette d'épine. C'est un apéro à base de pousse printanière d'épine noire, de vin, de gnôle, de sucre et de ... secrets. On laisse macérer un peu. Et quand les doux amers se développent on met en bouteille. J'en ai bu des dizaines jadis et la meilleure fut à Mauzé-Thouarsais.
Vous trouverez sur internet des "recettes d'épine noire" et, dès que possible, faites vous des amis pour soulever des mystères d'une rare finesse.
Les chanceux habitent en Thouarsais !
Le roi n'est pas notre cousin.
C'est ainsi que je suis devenu pur indien, quand une femme indienne nue et minuscule m'a recueilli sur un banc de sable où j'agonisais, dévoré par des sangsues géantes.
Depuis je suis totalement heureux, papa, dans un paradis de branches. Il m'arrive encore de boire parfois de l'iboga amer et de me transformer en sève. Mais c'est de plus en plus rare puisque j'habite désormais le paradis avec mes enfants rieurs et mon épouse douce comme le bol de lait créole.
FIN
Les jours défilent mollement, je croise des cases abandonnées, des quais mangés par les vers. Ici tout est dévoré de haut en bas, tout est pourri, tout est mouillé deux ou trois fois par jour par des ondées d'une puissance antédiluvienne. Je me rappelle combien j'attendais ces tornades dans les forêts de Goyaz et du Mato Grosso. A la nuit tombée on pouvait voir – avec beaucoup, beaucoup de chance – une luminescence bleue sur les rives de la rivière des Aigrettes. Cette lumière magique était un diamant bleu. Une seule pierre offrait un an de vie somptueuse dans les hôtels cossus du Brésil. L'on y buvait des alcools rares dans les rires des femmes à collier de perles. Cela m'est arrivé une fois seulement. Je suis reparti à la quête des pierres phosphorescentes, mais en vain, j'ai fini en haillon, mangeant, pour survivre, des fourmis-termites grillées dans une case défoncée par les pluies.
( A suivre)
Le rouge des fleurs est celui du sang, le vert sans nuances, le noir d'ébène. J'aime cette franchise, ce pays est le mien. Pas de nankin, aubère, porracé, céladon, colombin, etc, toutes ces nuances inventées pour amollir les goûts, affadir les émotions. Ici c'est la vérité voluptueuse. J'aborde un môle pourri et j'entreprends de rebaptiser mon bateau, j'efface « grand coeur » et j'écris à la place « VOLUPTUEUX ». Je sens que cela lui fait grand plaisir.
Un matin je croise un cargo perché tout en haut sur la cime des arbres. Je me souviens que Blaise Cendrars évoquait ces rencontres extravagantes. Il dit que ce sont les conséquences des crues soudaines et les masses d'eau qui déferlent sur la forêt jusqu'à la noyer sur des étendues considérables. Alors les marins abandonnent le vapeur et laisse à bord un seul homme en attendant la prochaine crue qui ramènera l'embarcation au port. Il peut patienter deux ou trois ans dans la solitude totale. Il ne devient pas fou, rien de semblable à l'océan que cette gigantesque étendue de feuilles. Il est heureux là haut, tranquille comme un oiseau, et bien souvent refuse de descendre si l'on vient le chercher.
J'appelle, je joue de la corne de brume, mais rien ne bouge dans le ciel. Le marin n'est plus là ou bien il se cache.
(A suivre)
Je navigue plein ouest. Je pêche un peu des poissons énormes pleins d'épines mais très savoureux. Je m'ennuie et alors je souffre atrocement. L'ennui est mon pire ennemi. Je pioche dans la réserve de rhum et je m'effondre. Enfin j'aperçois devant un filet vert à l'horizon ! J'ai navigué plusieurs semaines il me semble.
Le rivage est une forêt bordée de palétuviers, et sillonnée de bras d'eau. Prudemment je mets le bateau en panne à quelques encablures et je vais explorer la mangrove avec le canot. C'est ici le poto-poto parfait. J'ai pied mais la boue remonte jusqu'au dessus des genoux, ça pue la vase équatoriale. Des coquilles d’huître me coupent la plante des pieds. Bizarrement la boue favorise la cautérisation des plaies, elles guérissent en cinq jours.
Demi-tour. En longeant la ligne verte je trouve enfin un fleuve capable d'accueillir mon bateau dont le tirant d'eau n'est pas trop important. La jungle klaxonne à mon passage, des singes hurleurs vocifèrent, des perroquets clabaudent, des jaguars silencieux me dévisagent avec arrogance, des anacondas lèchent l'air après mon passage. La lumière est d'une violence stupéfiante, elle ne fait pas dans la nuance, j'ai l'impression d'avoir absorbé une drogue.
( A suivre)
En ce moment il faut se sortir les doigts du cul pour garder la tête hors de l'eau.
( Nicolas)
Suite et fin de la lettre (trouvée dans le bateau, cap à l'ouest).
« Quand il a fallu revenir chez les gens, dans les rues, et arpenter les places bruyantes ce fut étrange. Désormais souvent je croise la nostalgie, elle me caresse et m'embrasse. Je lui suis resté fidèle. Elle vient s'allonger à côté de moi la nuit quand tout le monde dort dans la maison. Le jasmin alors s'affole, enfin … il me semble. (...) Dans les taxis-brousse nous passions les frontières comme les autres, le corps las et le visage rouge de la poussière de latérite.
Nous traversions le monde sans avidité. Quelques rares lassitudes nous accablaient, mais c'était rare, car la curiosité n'est jamais rassasiée. Je me souviens aussi je suis bûcheron en Ariège ; des arbres ont basculé découvrant soudain des morceaux entiers de ciel. Des envies de se rouler nu dans les feuilles mortes me sautaient à la gorge, le sang a coulé aussi quand les jambes étaient mordues par les tronçonneuses, les haches étaient nos uniques compagnes ( elles au moins ne nous voulaient aucun mal contrairement aux tracteurs articulés qui rêvaient de verser avec avidité dans la pente des montagnes). Pas d'alcool, pas de drogue, la liberté passait avant tout et me charmait bien plus que n'importe quelle substance. Tant pis, un jour je retournerai au guichet oblitérer des cartes à des voyageurs de première classe en partance pour Constantinople. »
( A suivre lundi)
Suite de la lettre :
« Nous grimpions dans les trains surchargés en escaladant - en riant - les fenêtres.Notre ignorance naïve et pure était notre divine protection. Nous étions absous comme on pardonnait aux idiots du Moyen Age.
Il nous est arrivé d'avoir peur des fantômes au fond des puits, alors nous sommes partis le lendemain en riant . Des bateaux, des trains, des taxis brousse nous attendaient partout.
Un tour de cartes suffisait à nous fournir en cigarettes. Chez les toubabs ( les blancs) nous étions de somptueux pique-assiettes, prêts à rendre des services qui ne servaient à rien (en échange d'un repas, d'un lit, d'une semaine de gîte). Notre offre était toujours refusée, nous étions alors logés et nourris pour rien, pour un sourire.
« Mais cela c'était ensuite. Tout avait commencé bien avant dans les sables. Sous le soleil énorme et dans les nuits époustouflantes qui empêchaient de dormir en raison des étoiles jetées par poignées dans les cieux. Dans le silence nous buvions lentement du thé à la menthe avant d'aller chasser dans les oueds secs. Hélas, l'homme d'action est toujours violent et souvent un peu seul. L'amitié, là ou rien n'existe, est puissante, considérable. Ces pays nus ne trahissent pas comme ces jungles excessives qui pourrissent et empoisonnent ( j'en sais quelque chose! ). Ici rien devant, rien derrière. Nous mangions des galettes de farine cuites sur les pierres brûlantes. Nous nous allongions dans le silence. Dix ou douze paroles étaient prononcées chaque jour, pour signifier des besoins absolus, jamais pour un exprimer un sentiment ou un jugement. Seul l'imbécile bavarde dans le désert.
(A suivre)
La lettre d'un inconnu trouvée sous un tiroir continuait ainsi :
« L'aventure pure. Voilà le mot qui m'a nourri longtemps. Alors j'ai foncé, je suis passé à travers mille interdits inconnus, aveugle, insoucieux et sans doute fou. C'est cette folie éperdue qui, d'une certaine manière, m'a protégé. Je dis « je », mais je devrais dire « nous », mon vieux pote et moi, car il était comme moi, mangeur de tout. Sans avoir le temps d'avoir peur.
En guise de passeport nous exprimions cette joie naïve qui suscite le sourire quand ce n'est pas l'amitié simple. Peut-être même – j'ose le dire – nous passions pour des héros. Nous empruntions une pirogue que personne n'aurait touchée, elle était protégée par des grigris, nous n'en savions rien, nous ne voyions rien. Nous foncions. Vite ! Vite ! Nous empruntions des chemins interdits en riant, « interdits pourquoi ? ."
(A suivre)
Heureux puis nostalgique ensuite, ce compagnon me manquait curieusement. J'y pense souvent encore. Mon grand-père dans sa jeunesse était soldat dans le Sahara, je ne l'ai pas connu mais ma mère disait qu'il aimait beaucoup partir seul au loin dans les dunes. Il était absent plusieurs semaines. Et revenait enfin, silencieux.
Un soir, collée sous un tiroir qui m'avait échappé j'ai trouvé une longue lettre sans signature. Je la relis souvent.
La voici :
« J'ai toujours été une sorte de train fou qui fonçait droit devant, parfois absurdement. J'étais un mauvais voyou et un piètre cambrioleur. Ah ça ! Heureusement je n'avais pas l'audace absurde de ces gars de la bande à Jules Bonnot qui défouraillaient et abattaient en riant de pauvres employés. J'ai croisé Picasso (au bateau lavoir), il était insupportable et a tout volé aux masques africains. J'ai bu de l'absinthe avec Gauguin sur une goélette, il était doux et terrible. J'ai trinqué - en bordée - avec Blaise Cendrars ( Suisse il s'était engagé dans la Légion pour faire la guerre 14 aux côtés d’Apollinaire, « parce que disait-il la poésie c'est l'action »). C'est vrai. J'ai écrit trois fois à Julien Gracq, il m'a répondu deux fois. J'ai salué Vélasquez ( à Madrid) et Vermeer ( à La Haye) … ils m'ont souri...
( Asuivre)
Cap à l'ouest, encore et encore. Un soir j'ai vu au loin une frégate. Je me suis approché, personne à bord, en tout cas personne sur le pont, à part des singes qui sautaient d'un mât l'autre. J'ai viré de bord et repris mon cap à l'ouest. Un sentiment secret me disait que l'ouest était prometteur, riche en surprises peut-être heureuses. Dans le tiroir du bureau il y avait des livres de Blaise Cendrars, c'est une belle compagnie que celle-ci. Au bout d'un moment j'ai passé un cap et longé d'immenses plages qui bordaient des étendues de sable infinies. Très loin, parfois défilaient des chameaux. Un jour un homme me fit signe. Dans les jumelles je vis qu'il était vêtu comme un nomade du Sahara. J'hésitais … Je mis le navire en panne. Je n'avais vu personne depuis des mois. Avec la chaloupe je suis arrivé sur la rive. L'homme m'a souri, il s'est accroupi sur ses chevilles comme le font les gens d'ici. Il a allumé un petit feu, a posé dessus une casserole d'eau et des feuilles sèches. Dans deux verres colorés il a versé du thé brûlant. Sans un mot nous avons bu le délicieux breuvage. Puis l'homme s'est levé et a fait sa prière. Avant de partir, toujours silencieux il m'a donné un sachet de thé dans une pochette de tissu rouge. J'avais rien sur moi qu'une montre, je l'ai tendue. Il l'a prise et regardé longtemps, l'a glissée dans une longue poche suspendue à son cou puis a tourné les talons, appelant son chameau par de curieux et longs beuglements. Je suis retourné à bord.
(Suite demain)
Samedi dernier la Shaapt (société d'histoire d'archéologie et des arts du pays thouarsais) a initié une belle chose : célébrer la liberté que Thouars a savouré le 2 septembre 1944, le maire et les responsables de la Shaapt ont été nets et précis lors de la cérémonie. Extrait de l'article de la NR
(Gonsalvez) |
Le moteur est parti au quart de tour, cap à l'Ouest. Quelques rares mouettes heureuses de croiser un humain m'ont accompagné un bon moment. Pour les remercier je leur ai jeté du pain. Il y avait du pain et de la confiture de framboise dans un placard. « Le roi n'était pas mon cousin » comme j'aimais à le dire jadis au temps heureux dans une campagne verte riche en lait et parfums fermiers.
Je ne sais pas où j'étais et je ne sais pas où j'allais. Le compas du bord était capricieux. Plein ouest, ça c'est facile quand on voit le soleil. Une tempête est arrivée, elle était furieuse, comme jalouse de mon minuscule bonheur. J'ai jeté l'ancre flottante, la proue face aux vagues déferlantes et je me suis enfermé dans la cabine, allongé, prêt à mourir. J'ai vomi. Au matin de la troisième journée la tornade a piqué plein sud, me laissant enfin tranquille. J'ai fait le tour du bateau, à part un mètre d'eau dans la cale apportée par les vagues et rapidement pompée, tout était en état. ( A suivre lundi)
Sur la plage ou je marchais depuis deux semaines, j'ai aperçu au loin un bateau. En m'approchant j'ai vu qu'en nageant un peu avec mon sac sur le dos je pouvais monter à bord. Une échelle de corde pendait le long du bastingage. J'ai attendu deux jours sur le sable, rien n'a bougé à bord. Alors j'y suis allé. C'était un petit bateau mais bien conçu, confortable, capable d'affronter la haute mer. Sur le pont deux cadavres se faisaient face. Deux hommes qui s'étaient mutuellement embrochés avec un harpon et une fourche. Ils étaient tous secs, momifiés. Pas lourds. Je les ai jetés par dessus bord avec la fourche. La cave était pleine de conserves, la réserve d'eau bien pleine, la cuve de carburant remplie à ras bord ; une croisière se préparait à l'évidence. Elle avait tourné court, et c'était mon jour de chance. J'ai branché la radio sur la batterie, les voyants se sont allumés, le haut parleur grésillait d'un canal à l'autre … Personne sur les ondes. Tant mieux ! Je n'aurai pas à refuser un appel au secours.
(A suivre)
(Gonsalvez) |
Toujours devant ! Au galop ! Foncer ! Prendre à peine le temps de sourire aux herbes ! Des rapaces me suivent de haut, je me demande qui attendent-ils ? Mon cheval ou moi ? J'ai soupiré en arrivant sur la plage. Le cheval épuisé tituba et s'effondra, mort … les vautours furent récompensés de leur admirable patience. Mes impédimenta s'étalèrent au sol aussi je n'ai gardé que l'essentiel. Il me fallut faire un tri brutal et abandonner le portrait de mon aimée morte du choléra du coté de Carpentras. Ma vie, dès lors, était devenue bizarre, j'avançais par pure habitude. J'avais pris l'habitude des cadavres partout, je m'étais même habitué à leur puanteur. Je savais qu'il ne fallait surtout pas les toucher. Je ne leur faisais donc pas les poches. Pourquoi faire d'ailleurs ? l'argent n'avait plus aucune valeur ; acheter quoi et à qui ? Que faire de bijoux et de lingots, il m'était arrivé de trouver un sac entier de pièces d'or, mais je cherchais de quoi manger moi !
Les gens étaient morts. Et les rares survivants évitaient de se croiser. Je voyais parfois au loin une petite famille, ou des femmes seules qui hurlaient, ou des hommes courbés furieux et armés. Il fallait éviter toute cette populace qui pouvait mourir soudain dans des spasmes en bavant une sorte de riz au lait. ( A suivre)
Je crois que mon cheval ne m'aime guère. Je le vois dans son regard dégoûté quand il me fixe. Tant pis pour lui, moi-même je n'ai pas d'affection particulière à lui prodiguer. Il pue quand il sue, il défèque sans respect. Nous allons depuis des mois à travers ces pentes, sans rencontrer âme qui vive. Il est mangé par les taons et moi par les tiques, au moins nous avons cela en commun. Je vois bien qu'il se demande où nous allons. Que puis-je lui dire ? Je l'ignore moi-même. Nous allons plein ouest parce que j'ai appris jadis que c'est là-bas que la mer est. Je me dis que face à l'océan je verrai peut-être une vie, une voile. En tout cas il sera plus simple de scruter l'horizon, alors que dans ces monts perpétuels la vue est bloquée par des rochers immenses, sans cesse. Le soir le cheval broute et moi j'allume le feu, je bois du thé et mange des rongeurs piégés. La solitude est totale.
(A suivre)