mercredi 30 septembre 2020

Secousse 16



 Résumé : Arrive-t-il au diable d'être triste ?

Balthazar trouva la coupure désignée par Marie dans le dossier « faits divers » de la rédaction. Il était question de deux vieux garçons qui vivaient chacun dans leur maison, côte à côte. Ces deux vieux imbéciles se détestaient. Le moindre marron qui, venant de l'arbre de l'un tombait dans le jardin de l'autre, suscitait des menaces :

_ Salaud garde tes marrons!

_ Espèce de fumier un marron dans ta sale gueule ne peut que te rendre

moins laid.

_ Un jour j'aurai ta peau, fils de merde !

_ Je t'aurai tué avant, rat puant !

Et cela n'en finissait jamais. Cela dura des décennies. Dans le village on avait fini par en rire, sauf quand ces deux là se retrouvaient par hasard dans l'unique bistro. Les injures, annonçaient la bagarre et les menaces de mort mutuelles. Marcel le patron était obligé de virer l'un par la porte et l'autre par la cuisine. Ce qui envenimait les querelles :

_ Bien sûûûûûr il sort par la grande porte et moi par l'office des domestiques.

_ Ta gueule, la dernière fois c'était l'inverse ! Vous êtes tellement cons que je suis obligé de veiller à ce genre de finesse de merde ! Hurlait le patron hors de lui et si l'on va par là hors de chez lui puisqu'il était dans la cour. Bref… Personne ne fut surpris lorsque Gaston fut trouvé abattu, chez lui, une balle dans la tête, une balle de 8mm. On ne retrouva pas le revolver qui avait dû finir dans la rivière voisine baptisée du joli nom de Dive. On accusa bien sûr Michel le voisin qui haïssait Gaston, qui lui avait promis pendant trente ans de mettre une balle dans sa putain de cervelle de con.

Michel resta prostré pendant son procès, seul son regard trahissait son dégoût. Il fut condamné à 30 ans parce qu'à l'évidence c'était un assassinat et non un banal meurtre. En l'occurrence la préméditation avait mûri durant des décennies.

Le temps passa un peu. Gaston mort n'ayant pas d'héritier, sa masure finit pas être vendue aux enchères à la bougie. Elle fut achetée par un jeune couple tellement amoureux qu'ils s'embrassaient sans cesse, et levaient la main sans cesse aussi. Le commissaire priseur croyait qu'elle enchérissait sur lui et lui sur elle, la masure atteignit des sommes folles. Ils enchérissaient l'un sur l'autre parce qu'il se chérissaient ... C'est pourtant vrai que l'amour rend aveugle. Bref l'on s'aperçut de la bévue et l'on constata qu'ils étaient en fait les seuls acheteurs. Et  on repris sans bisou la vente, et sans que le commissaire priseur fisse la moue (c'était un chic type). Les amoureux devinrent propriétaires pour quelques sous.

( A suivre)

mardi 29 septembre 2020

Secousse 15

 


Résumé : L'absence de Dieu surprend quand on est mort. Après on

s'habitue.


La gnose survit toujours. Elle dit un truc simple : Dieu n'a pas crée le monde. Dieu ne crée pas. Il n'a pas besoin. Le gnostique le sait. Il est au monde mais il n'est pas de ce monde. Ce monde n'est pas le sien. Ce monde n'est pas son affaire. Il a été kidnappé, il est là et à la première occasion il s'évadera pour rentrer chez lui au « plérôme », où il sera heureux : ni homme, ni femme, hors de toute dualité. A partir de là la gnose a suscité des courants bien différents (un peu comme les socialistes en 1980). Il y avait les adeptes de Marcion qui disaient : « Ne faisons pas d'enfant pour que ce monde impur s'écroule de lui-même ». Et à l'autre bout les carpocratiens qui disaient en gros « puisque ce monde n'est pas le vrai monde, on s'en moque, faisons ce qu'on veut, la vie n'a aucune importance. » Et pas loin d'eux les Borborites (appelés les puants) qui en, gros n'en avaient rien à foutre de rien puisque ce monde n'est pas le vrai. Ils étaient proches des Nicolaïstes, mais ces derniers étaient encore plus licencieux…

Balthazar ayant accompli ce long et périlleux chemin relut la fin de la première lettre cachée de Marie : « Que celle ou celui qui me lit à cet instant fasse un effort ou remette cette enveloppe où il l'a trouvée avant d'aller plus loin. Car il ne comprendra pas la suite, ni ne découvrira même les messages qui éclaireront bien des mystères, il ne saura rien des crimes qui ont eu lieu. Le message est : « Je suis venu apporter un feu sur la terre ».

Désormais expert en ésotérisme et en vieux rhum de Marie-Galante, Balthazar chercha d'où provenait ce message : « Je suis venu apporter un feu sur la terre ». Il avait croisé cela dans l'évangile de Matthieu et Luc. Il chercha donc une bible dans la rédaction et la trouva sous une pile de bouquins entre « Répertoire des vignerons du nord Deux-Sèvres » (écrit à compte d'auteur par un député) et « Thouars c'est beau » (écrit à compte d'auteur par un sénateur). Et sous la citation de Luc il trouva une note de la main de Marie : « Pouf ! Pouf ! Pouf ! C'est toi qui y est ! Cherche et tu trouveras, fonce dans la rubrique des faits divers à « mort dans sa cheminée ». 

Balthazar pensa que cette manière était bien farce (comme aurait écrit Zola). Il fonça dans les archives et trouva.

( A suivre)

lundi 28 septembre 2020

Secousse 14



Résumé : Aujourd'hui je voulais procrastiner mais je remets ça à demain.

Balthazar se plongea dans Thomas… Pffuiii… ce n'était pas de la littérature de gare que cet évangile caché. Il disait de troublantes vérités, il était même anarchiste. Exemple, logion 71 : « Jésus a dit : je renverserai cette maison et personne ne pourra la reconstruire ». Un camarade ce Jésus ! Logion 10 : « Jésus a dit : j'ai jeté le feu sur le monde et voici que je le préserve jusqu'à ce qu'il s'embrase. » Ah ce n'était pas du mou. Voilà qui vous secouait le figuier ! Pas un gnangnan le gars ! Un vrai para ! Logion 16 « Jésus a dit : sans doute les hommes pensent-ils que je suis venu jeter la paix sur le monde, et ils ne savent pas que je suis venu jeter des divisions sur la terre, le feu, l'épée, la guerre … » etc. En buvant un vieux rhum de Marie-Galante (« habitation Bellevue ») offert par un ami (Alain le gars des îles), Balthazar s'enflammait : « J'en suis ! J'en suis ! » gueulait-il dans la rédaction. Comme c'était l'été et que les fenêtres étaient ouvertes, et qu'une patrouille de flics passait en s'ennuyant, elle s'arrêta. Elle trouva Balthazar bien imbibé et, comme il proposait une tournée de rhum, les flics trinquèrent. En ce temps on appelait la police « les gardiens de la paix », c'était bien avant « les forces de l'ordre ». 

L'inspecteur Legrandu arriva à son tour, ce fut une belle soirée. Au commissariat l'inspecteur Legrandu était un chic type, c'était le genre de flic qui, pendant la guerre, serait venu avertir les juifs qu'une rafle se préparait le lendemain. Legrandu n'obéissait pas aux ordres ignobles. Balthazar avait du respect et de l'amitié pour lui. Balthazar ayant de son côté avancé spirituellement sur la voie de la chrétienté… et pas celle des « bénis-oui-oui », s'échoua tout naturellement sur les cailloux de la gnose. On va faire simple : la gnose était encore florissante au IVe siècle, mais l'église n'aima pas ces croyants impétueux, elle fit le ménage et les massacra gaillardement. Les gnostiques y passèrent tous, et les derniers furent brûlés plus tard du côté d'Albi (on disait les cathares, ceux qui baisent le cul des chats, pour se moquer d'eux). Ainsi le pape fut tranquille. Mais la flamme n'était pas soufflée. Qui peut éteindre une idée ?

(A suivre)

dimanche 27 septembre 2020

Secousse 13

 


Résumé : Un peuple qui n'aurait pas inventé le futur n'aurait que faire d'un

prophète.


Balthazar apprit au passage que ces quatre évangiles étaient « canoniques ». Même si cela envoie du lourd, le mot n'a rien à voir avec une pièce d'artillerie, cela correspond à un mot grec qui veut dire quelque chose comme baguette, règle. Donc les quatre Évangiles, Jean, Marc, Luc, Matthieu (tous révisés par Saint Jérôme) disaient la règle entendue par l'église et ensuite approuvée par les réformés (ces protestants qui avaient fait la richesse de Thouars avant de partir faire celle de la Suisse). Mais en dépit de cette « révision » de Saint-Jérôme, Jésus va très loin quand, dans l'Évangile de Luc (Chapitre 19 verset 26 et 27), il clame : « Je vous le dis, on donnera à celui qui a, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. Au reste, amenez ici mes ennemis, qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, et égorgez-les en ma présence. » SAPRISTI !!! On se dit que Saint Jérôme a dû en retirer pas mal mais il en a laissé passer de rudes !
Certes Balthazar avait jadis été à la messe, mais il n'avait jamais entendu parler de tout cela : à la messe les chants étaient beaux, son pantalon du dimanche le grattait, il s'ennuyait et il devait donner une pièce à la fin, ce qui au final faisait moins d'argent pour acheter des bonbons. 
Restait encore à lire l'Évangile de Thomas. Après c'est promis on s'occupe de ce qui fait le corps non pas du Christ mais de cette histoire. De l'évangile de Thomas, on ne savait pas grand chose jusqu'en 1945. Un beau jour du côté de Jabal Al Tarif, un coin paumé à 5 km au nord de Nag Hammadi, un paysan labourait son lopin. " تبباا ", hurla-t-il soudain dans son sabir (ce qui veut dire quelque chose comme « Merde !»). Sa charrue venait de heurter un truc dur. Il se pencha. Il creusa. Il trouva une amphore, et, dedans, un tas de vieux trucs, des manuscrits très anciens dont : L'EVANGILE DE THOMAS et ses 114 logia. Logia est le pluriel de logion, on dit un logion et des logia (sans S)… c'est comme ça, on aborde ici le divin, ce n'est pas une liste de courses au supermarché ! Logia veut dire « paroles divines ». Chez Thomas, pas d'histoires sur Jésus, rien de synoptique (ces épisodes qu'on retrouve ici et là), juste des paroles. Jésus a dit ceci ou cela… Il ne transforme pas l'eau en vin (si cela avait été de l'eau pétillante cela aurait été du Champagne !), il ne fait pas du pain plus qu'on peut en manger (il en reste toujours), non… il cause seulement mais c'est passionnant ! Cet évangile est réputé apocryphe, ce qui signifie en langage commun « faux » mais qui signifie en réalité « caché ». Par exemple on pouvait dire que Balthazar buvait trop, était-ce apocryphe ? Était-ce faux ? Ou buvait-il en cachette ? Je vous laisse choisir.
Il reste qu'on touchait là à la moelle du christianisme, bien avant ce Saint- Paul qui ne fait pas dans la finesse : Première épître aux corinthiens, Saint- Paul : « Si une femme ne met pas de voile, qu'elle se coupe les cheveux ! (…) L'homme, lui, n'a pas à se couvrir la tête parce qu'il est l'image et le reflet de dieu, quant à la femme elle est le reflet de l'homme. » Première épître à Thimothée 2/9 : « Pendant l'instruction la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l'homme. Qu'elle se tienne tranquille. » En voilà un qui n'est pas prêt d'avoir sa carte dans une association féministe !

( A suivre)

samedi 26 septembre 2020

mercredi 23 septembre 2020

Secousse 12

 


Résumé : Mes parents ne savent pas que j'ai été adopté.

« Elle est folle cette Marie, pensa Balthazar. Elle est folle, mais elle m'intrigue ».

Le lendemain, au Café des Arts, en jouant sa partie de tric-trac avec Karantec Plouendec, un dentiste breton qui faisait aussi mal qu'un dentiste hongrois de Bressuire, le lendemain donc, Balthazar évoqua la gnose. Le dentiste se figea et le regarda d'une curieuse manière :

- Tu as connu Marie ?

- Ben … non mais … comment dire, elle a laissé une note, elle dit : « je suis venu apporter un feu sur la terre ».

- Ah ! Remets une tournée, allonge tes jambes. Elle cite là l'Évangile de Luc, chapitre 12 verset 49. As-tu jamais lu les Évangiles ?

- Ben non ! Qui lis les évangiles aujourd'hui ? Mais il m'est arrivé de feuilleter Jean d'Ormesson.

- Quel con tu fais ! Alors tu dois commencer par lire les Évangiles.

- Ben… Lesquels ?

- Mais les quatre canoniques espèce de nouille : Luc, Marc, Matthieu, Jean… et même celui de Thomas.

- Tiens tiens, elle cite ces prénoms dans sa bafouille.

- Comme par hasard… cela ne te surprends pas ? »

- Ben si !

- Ben voilà ! »

Bien qu'ivre Balthazar dormit mal ce soir là.

Lire les évangiles, finalement c'est facile et même très souvent étonnant. On y croise un mec qui s'appelle Jésus plutôt sympa, les filles y tiennent la meilleure place, elles sont là dès qu'il se passe quelque chose d'important (par exemple quand il ressuscite… excusez du peu). Jésus envoie balader les vieilles barbes : « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres » (Évangile de Matthieu chapitre 9 verset 17). Des fois Jésus change l'eau en vin (quand le pinard manque) et l'on s'aperçoit que c'est du très bon vin : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » (Évangile de Jean chapitre 2 verset 10), c'est la classe quand même ! Des fois il ne faut pas l'énerver trop : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division. » (Évangile de Luc chapitre 12 verset 51). Et puis il n'aime pas la société de consommation : « Jésus entra dans la cour du Temple et se mit à en chasser les marchands qui s’étaient installés dans l’enceinte sacrée ainsi que leurs clients ; il renversa les comptoirs des changeurs d’argent ainsi que les chaises des marchands de pigeons. » (Évangile de Marc chapitre 11 verset 15).

( A suivre lundi car demain vidéo à la messe, puis samedi aphorisme et dimanche la phrase romanesque)

Secousse 11

 


Résumé : Le hasard n'en fait décidément qu'à sa tête !


Donc Balthazar ouvrit l'enveloppe, il était déjà tard, la secrétaire avait rangé joliment son bureau orné d'un bouquet de jonquilles offert par un amoureux de la dite secrétaire, lequel arrivait juste avant l'heure de la fermeture pour passer une annonce matrimoniale : « homme mûr et vert encore cherche compagne joyeuse sachant faire des crêpes et aimant – en saison – les jonquilles. » Autant dire que cette annonce était adressée exclusivement à la secrétaire qui apportait à la rédaction quatre fois par mois de savoureuses crêpes à la confiture de framboise ou autre fruit de saison soigneusement pliées dans un torchon Vichy. L'homme qui arriva un jour à l'heure du goûter se vit offrir une crêpe à la crème de marron, il en fut tout estourbi. Je raconte cela qui n'a aucun lien avec l'histoire pour que le lecteur comprenne bien qu'un journal est avant tout, d'abord, et essentiellement, une histoire humaine.

Bref, il était tard, il n'y avait plus personne à la rédaction lorsque Balthazar lut les quelques feuillets laissés là par Marie, la précédente journaliste en poste à... Thouars.


Cela commençait ainsi :


« Voici notre histoire, celle de Jean, Marc, Luc, Matthieu, Thomas et moi.

Nous avons tué, il est vrai, chacun à notre tour. Mais ne nous jugez pas avant de savoir. J'écris cette confession avec l'assentiment de mes amis. Nous avons tous disparus volontairement car la justice des hommes ne saurait nous atteindre. Elle n'en a pas le pouvoir ni même les moyens. Que celui qui lise cela, parce qu'il a su plier les genoux, soit une personne libre. »


Balthazar qui avait plié les genoux justement pour voir l'enveloppe collée sous le tiroir des archives s'assit à son bureau sur un fauteuil pivotant (ce type de fauteuil équipait depuis toujours les rédactions, on pouvait ainsi se bercer quand un élu débitait ses banalités). Il poursuivit sa lecture.


Marie écrivait :


« Un jour j'ai rédigé un article sur un ancien déporté résistant, un homme merveilleux et doux. Comme je lui disais : « Moi à votre place je serais revenue avec une rage au cœur et l'envie de mordre tout le monde. » Il me répondit avec son beau sourire : « Reprenez un verre de rosé et comprenez que ce monde n'est pas celui qui compte. » Il n'en dit pas plus, mais cela me troubla profondément, car d'une certaine façon je ressentais intimement en moi cette évidence. Il me fallut longtemps pour comprendre le sens caché de ces sages paroles. Un sens qui porte un nom : la gnose ! Et quand il m'arrive de dire certains soirs d'ivresse que je suis gnostique les gens entendent bizarrement le contraire : agnostique… Ils disent cela par réflexe sans doute parce que le mot « gnose » fait peur et cela ne date pas d'hier. Que celle ou celui qui me lit à cet instant fasse un effort ou remette cette enveloppe où il l'a trouvée avant d'aller plus loin. Car il ne comprendra pas la suite, ni ne découvrira même les messages qui éclaireront bien des mystères, il ne saura rien des crimes qui ont eu lieu. Le message est : « Je suis venu apporter un feu sur la terre ».


lundi 21 septembre 2020

Secousse 10

 


Résumé : Personne n'aime une salle d'attente, sauf celle du bourreau.

Balthazar arriva donc en juillet, quand l'actualité s'amollit et perd de sa saveur. Il cherchait un sujet à traiter en feuilletant les archives de la rédaction soigneusement classées par les secrétaires , âmes humbles et indispensables à la marche harmonieuse du monde. Balthazar fit tomber un dossier qui récapitulait depuis des décennies les « foires Saint-Michel ». Ces grandes foires de Thouars avait attiré l'attention de Balthazar parce qu'il avait été naguère parachutiste. Or Saint-Michel est le patron des parachutistes. On le différencie de Saint Georges (qui lui aussi terrasse un dragon) parce que Saint-Michel porte des ailes, et pas Saint -Georges. Parce que Saint-Georges est le patron des cavaliers qui sont des p'tites bites… Et puis c'est tout... Oui… hoooo… ça va ! Personne n'est parfait !

Balthazar donc se mit à genoux pour récupérer le dossier « Saint-Michel » éparpillé sur le carrelage bleu clair et aperçut, sous le tiroir du meuble d'un vert couleur de jeep, une enveloppe fixée avec du scotch. A l'évidence on avait voulu camoufler ce document. Le scotch était très vieux. Il avait jauni. Mais il tenait bon, ce n'était pas du scotch moderne. Sur l'enveloppe était écrit :

« MARIE : VOICI NOTRE HISTOIRE (nous sommes désormais au plérôme ) ». Marie écrivait en préambule : « Entendu à la radio hier : "l'émotion est organique" Organique ? parce qu'elle fait fonctionner les organes du corps ? Mais je pense plutôt divine parce qu'elle vous saute à la gorge et vous plonge dans une solitude très peuplée. J'imagine qu'au plérôme l'émotion n'est plus du tout parce qu'elle est harmonie fuguée... enfin pour moi. » Était-elle folle ? Balthazar se releva et alla consulter le dictionnaire… « Plérôme »... Rien dans le dictionnaire de ce vieil anarchiste de Lachatre qui mentionnait seulement « Plérose » : « rétablissement de l'embonpoint après une maladie. » Rien à voir ! Le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales expliquait lui : « Plérôme : chez les gnostiques, plénitude divine dont les êtres spirituels sont l'émanation. » Il y était question aussi de gnose. Le bon dictionnaire de ce bon anarchiste de Lachatre tartinait un truc incompréhensible sur les gnostiques : « les marcosiens, les agapètes et les priscillanistes inondèrent l' Espagne, le Portugal, le midi de la France et le diocèse de Lyon »… En fermant le gros bouquin Balthazar avait déjà mal au crâne alors qu'il n'avait encore rien bu.

( A suivre)

dimanche 20 septembre 2020

Secousse 9

 

 



 




Résumé : il était tellement amnésique qu'il avait oublié de mourir.


Un lien secret et très puissant vint unir Marie à Jean, Marc, Luc, Matthieu et Thomas. Un lien qui a un nom que tout le monde, très souvent, ignore. En général on prononce ce nom et, par un mystère encore inexpliqué, les gens entendent le contraire, comme si on leur disait « bonjour » et qu'ils entendaient «  au-revoir ». Ce mot stupéfiant est « gnose ». On dit « gnostique » et les gens entendent « agnostique » (faites l'expérience).

Mais il est préférable de commencer par le début. Le tout début (c'est à se demander si cette histoire n'a pas que des débuts !). Or ce début débute bien après…


Un jour d'été, Balthazar, journaliste alcoolique et anarchiste, reçut sa feuille de route. Il devait quitter une morne rédaction du Courrier de la République dans laquelle il n'était pas heureux. Direction : Thouars ! Enfin une vraie rédaction locale détachée. Une vraie petite baronnie avec ses héros et ses grands buveurs, une vraie locale avec son histoire de résistance continue, avec ses amis « à la vie à la mort » et ses vrais ennemis « à la vie à la mort ». Une baronnie qui avait en plus : un salon des vins. Et ce qui va avec : ses vignerons, des gens merveilleux qui, vêtus sans recherche, s'étonnent qu'on puisse s'intéresser à eux. Avez-vous remarqué que les vignerons sont humbles et modestes ? Il y a une raison à cela : ils ont toujours peur de se tromper. Et quand il réussissent une cuvée, je veux dire une de ces cuvées qui racontent mille histoires et qui vous font des baisers dans le cou, alors… ils ne savent pas pourquoi et surtout ils ne savent pas comment ils ont fait. Allez demander à Gauguin pourquoi il a mis ce rose insolent et émouvant sur la robe de sa tahitienne ?


Thouars accueillit donc Balthazar à bras ouverts, comme on accueille un vieil ami. En réalité la formule n'a ici aucun sens : Thouars aime les nouveaux venus et oublie ceux qui sont partis. Personne ne demandera de vos nouvelles si vous quittez Thouars.

Ailleurs on vous dit : « Ici, il faut très longtemps pour avoir des amis, mais quand vous les avez, c'est pour la vie ». A Thouars c'est le contraire, vous un êtes d'emblée un ami, un vrai, et si vous partez, vous trahissez. Ici on n'aime pas les indécis. Tu es de gauche ou de droite. Et tout va bien, en dehors des élections.


 Bref, Balthazar arriva à Thouars à la mi-juillet il succédait à une suite de journalistes doués : Jean-Claude Biltac, Yves Traluse, Marcel Fiacosse et d'autres, tous partis sous d'autres cieux moins rudes. Ils étaient épuisés par les salons des vins et les innombrables occasions de trinquer. Thouars est une zone de combat. Marie avait envoyé un jour sa lettre de démission et avait totalement disparu. Elle avait écrit à la rédaction-en-chef ces simples mots : « Je vous emmerde ». Ce qui sur le plan de la syntaxe pure reste sans reproche.


Un vieux journaliste merveilleux avait dit : « Vous savez, Balthazar, à Thouars, ce n'est jamais fini. »

Et c'est justement ici que cela commence.

samedi 19 septembre 2020

La phrase romanesque

On me demande qu'apporteriez-vous sur l'île déserte ?

Je réponds : 

ma famille, 

mes ami(e)s, 

des livres, 

Bach,

du vin, 

de la choucroute

et des gâteaux

(Bathazar Forcalquier)



vendredi 18 septembre 2020

mercredi 16 septembre 2020

Secousse 8

 

 



 

Résumé : le fascisme ça commence mal et ça finit mal ... je ne vois pas bien l'intérêt.

Par quel détour ces six-là se rencontrèrent-ils et comment devinrent-ils amis, et pourquoi choisirent-ils leur funeste destinée ? C'est tout l'objet de cette histoire. Ces six-là allèrent jusqu'au bout, pourtant rien ne les menaçait. Ils étaient parfaits !


Tout a commencé ainsi : dans un département voisin venait de se conclure un crime parfait. Un homme voulait se débarrasser de son épouse, une lumineuse alcoolique. Il avait repéré un bistro triste et plein de poussière, perdu en pleine campagne au carrefour de deux routes désertes. Il devint propriétaire de cet humble établissement pour une somme modique. Il installa là sa compagne puis il repartit poursuivre son activité dans une ville lointaine au nom exotique. L'épouse passa derrière le bar et y resta. Elle but. Elle but beaucoup. Elle oscillait derrière le zinc. Elle balbutiait des phrases absurdes et disait à son dernier et rare client : « Pas vu de prince aujourd'hui. Je nous remets de la gnôle, c'est ma tournée. » Cette femme mourut au bar, autant dire au champ d'honneur. Elle avait survécu à bien des assauts de tous les degrés, mais la vague finale : rhum, vodka, calva, avait emporté son ultime résistance. Elle s'effondra, pliant les genoux sous l'assaut. Une mort de théâtre, mais une vraie mort. Elle ne fut pas embaumée, pas besoin. Et fut enterrée seule, son mari étant parti avec la copieuse assurance vie sous d'autres horizons d'un bleu turquoise, avec, parfois, des rubans smaragdins dans le ciel au fond de l'horizon.


D'une façon très inattendue cet événement fut à l'origine de cette histoire. Marie qui était journaliste au Courrier de la République, seule en poste à Thouars, l'évoqua dans ses colonnes. Et comme on était en août et que l'actualité faisait la sieste, elle tira à la ligne. Et comme elle avait du talent, elle fut lue notamment par Jean, Marc, Luc, Matthieu et Thomas qui, ne se connaissant pas les uns les autres lui envoyèrent une lettre de félicitation. Elle choisit de les inviter à l'apéro tous les cinq pour les remercier. Le coup de foudre amical fut aussi soudain qu'inattendu. Ils décidèrent de se voir souvent, de partir en vacances ensemble, toujours à la montagne, parce que Marie n'aimait pas l'odeur des algues à marée basse, Jean n'aimait pas les fruits de mer, Marc n'aimait pas le sable, Luc avait le mal de mer, Matthieu détestait les couchers de soleil, et Thomas trouvait que les vins du littoral étaient morts. Il citait souvent ce merveilleux vigneron de Tourtenay qui disait : «  Le muscadet ? Pour qu'il ait du goût il faut qu'il soit bouchonné ».

Ces six-là étaient faits pour s'entendre.


mardi 15 septembre 2020

Secousse 7

 



Chapitre 7

Résumé : Si ça se trouve Montaigne a réussi ses essais !


Il y avait aussi Thomas qui tenait une casse dans un vague terrain tout aussi vague. Il était autant mélancolique qu'il pouvait être drôle. Avec son poste à soudure il bâtissait d'énormes œuvres qui encombraient l'entrée de son dépôt, lequel sentait fort la vieille huile et le carburant rance. Mais lui sentait bon, il se parfumait avec Pour un homme de Caron (par fidélité pour un amour lointain, très ancien et constant). Il était anarchiste. Il aimait tout ce qui explose, du cocktail Molotov à la bombe atomique.

Son auteur préféré était Blaise Cendrars le génial auteur qui disait « Le métier d'homme de guerre est une choses abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie », et aussi « quand tu aimes il faut partir », et aussi « écrire est une mauvaise habitude », et tant d'autres merveilles.


Il écrivait à Marie :


« Je ne crois pas t'avoir jamais parlé de Bakounine. J'avoue, avec un peu de honte, que j'ai pour l'âme russe un peu de défiance dont j'ignore l'origine ; est-ce en raison de mon père qui avait pour les communistes une évidente sympathie ?

Bakounine donc est russe, mais surtout anarchiste. Il avait pour Marx une certaine admiration, disons pour les qualités intellectuelles de Marx, mais il y avait incompatibilité... "Prétendre qu'un groupe d'individus", écrit Bakounine, "même les plus intelligents et les mieux intentionnés sont capables de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire, c'est une telle hérésie contre le sens commun et l'expérience historique qu'on se demande comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir."


Thomas poursuivait sa missive : « La révolution n'a pas besoin de gouvernement qui prenne en charge de futurs lendemains plus ou moins enchanteurs. Voilà l'origine du fossé considérable entre anarchistes et communistes. Fossé qui s'est élargi considérablement, très vite, quand on a vu les bolcheviks prendre le pouvoir. Déjà Proudhon pestait contre :"le système communiste, gouvernemental, dictatorial, autoritaire, doctrinaire, qui part du principe que l'individu est subordonné à la collectivité". L'État est notre ennemi ! »


Ah voilà qui dessale ! Thomas avait écrit une petite histoire de l'anarchie qu'on trouvera en annexe (avec « Neige » et « la Jouissance du Monde » écrits par ses potes Jean et Marc).


Il y avait enfin dans ce groupe Matthieu. Il tenait un magasin d'électroménager-son. Il vendait des machines à laver américaines indestructibles, des réfrigérateurs, des chaînes haute fidélité avec des hauts-parleurs grands comme des buffets et des platines vastes comme des plaines bataves. Il vendait aussi des magnétophones sophistiqués. Il ne lisait que les poètes, ce qui ne l'empêchait pas d'être un compagnon passionnant car il savait mille choses et notamment tout (ou presque) sur la bêtise humaine. Une cliente lui demanda un jour « une télé qui ne permettait pas à la speakerine de voir dans son salon ». Elle était jalouse et redoutait que « Madame météo » lui vole son galant.


Il écrivait à Marie :


« Ce matin l'air était d'une douceur extrême. Je pense à ceux du ghetto de Varsovie. Ils étaient soumis à des déportations constantes, alors ils ne pouvaient pas entamer de gros romans. Ils ne lisaient pas Tolstoï, ils ne lisaient que de la poésie qui est la littérature d'urgence. J'y pense souvent. Je ne cesse de lire et relire une « Saison en Enfer ». Quand la sœur de Rimbaud écrivait à son frère employé de commerce à Aden que ses poésies commençaient à avoir du succès, Arthur répondait : « Ne me parlez plus de ces rinçures ! »


Tous dans ce groupe de plus en plus uni étaient célibataires et sans enfant.

lundi 14 septembre 2020

Secousse 6

 



Chapitre 6

Résumé : Le saint patron des parachutistes est Michel, celui des cavaliers Georges et celui des patrons : Ducon ?


Dans le groupe il y avait Marc. C'était un type bizarre qui puisait ses plaisirs dans des tâches absurdes à condition qu'elles fussent parfaites… comme la mise en page, la justification des phrases qui, lorsqu'elles sont publiées, s'achèvent toujours sur une div ( trait d'union) parfaitement placée. Marc était un homme d'ordre, fasciné par le désordre. Il était responsable d'une carrière de diorite, la pierre qui compose le ballast des voies ferrées. En général de la diorite rose, car la bleue plus dure fut réservée ensuite au ballast des TGV. Mais à cette époque il n'y avait pas de TGV, les locomotives avaient de jolis noms comme on a dit ou bien une suite de numéros qui correspondaient au nombre de roues et d'essieux ; et des surnoms comme « Lady C » ou « La Mallet ». Marc ne buvait jamais d'alcool, mais il fumait ces herbes venues du Maghreb et des montagnes afghanes. Une fumée qui le rendait (très) pensif. Il fréquentait ces paradis artificiels en solitaire, sans en faire la moindre propagande. « Chacun est libre de trouver son chemin, ce n'est pas moi qui vais ouvrir des culs-de-sac. » Il était aussi un grand spécialiste des armes de poing… il faut de tout pour faire un monde. Il avait une passion toute simple pour Julien Gracq. Cet auteur avait écrit quelques feuillets baptisés « La Route » (en préambule de son livre « La Presqu'île »). En toute humilité Marc avait écrit la suite de cette minuscule aventure. Il avait intitulé cette histoire sans événements « La Jouissance du Monde »… reproduite en fin de ce livre.


Il écrivait à Marie :


« Henry de Montherlant dans une lettre à une femme disait : « l'une des maladresses des femmes est la foi qu'elles ont dans l'efficacité de l'insistance » . Cet écrivain qui sentait fort la misogynie et la collaboration, n'était pas des plus fins je le concède. Mais sa phrase reste intéressante. J'aimerais bien connaître ton avis, chère Marie, sur sa pertinence. L'insistance est-elle une "maladresse" de femmes? Je m'interroge et je réponds oui, et la seconde qui suit je réponds non. Voilà pourquoi tes lumières me seront précieuses. »


Marc n'écrivait jamais de longues lettres, il trouvait stupide de gâcher du papier et plus encore de l'encre pour traduire des sentiments qui, de toutes les façons étaient travestis. Sa question sur la maladresse des femmes était un exemple parfait de ses manières.


La prochaine fois on fait la connaissance de Thomas le soudeur.

dimanche 13 septembre 2020

Secousse (5)

 



Résumé : Esprit de contradiction es-tu là ? NON !


Le groupe était donc composé, en plus de Marie, de Luc, rasé de frais, porteur d'une cravate noire, et triste. Il était devenu pharmacien par hasard, il buvait énormément des alcools rares et des liqueurs vulgaires. Il ne souhaitait qu'une chose : mettre du fluide dans ses synapses. Seul(e)s ceux ou celles qui boivent savent cela. Il s'ennuyait le dimanche, n'aimant pas le foot, ni le rugby, ni les boules, ni la chasse, ni la pêche. De plus, le dimanche à Thouars, la plupart des bistros sont fermés. Luc était célibataire. Il était l'inventeur du dictionnaire universel. Voici comment cela s'articulait : moi c'était 1, toi c'était 2, vous c'était 3, boudin aux pommes c'était 4.212, j'aime c'était 4. Ainsi 1- 4 – 2 voulait dire « moi aime toi ». Ou bien 3 – 4 – 4.212  voulait dire « vous aimer boudin aux pommes ». Avec ce système on pouvait échanger avec des Inuits ou de Papous. Sans bien sûr tenter de rivaliser avec le style de Marcel Proust ou la vacuité de Marguerite Duras.

Il écrivait à Marie :

« J'ai vu le printemps dans un arbre vendredi, et une joie profonde, intime et très douce m'est montée dans le corps. « Enfin ! » me suis-je dit. Je serais volontiers juif s'il n'était pas question pour moi d'un dieu créateur, je veux dire créateur du ciel et de la terre. Si j'étais juif je fêterais Pourim, (la fête des hasards et des masques), car je sais que rien ne va sans le hasard ni la dissimulation. Pourim : dans les maisons d'étude le professeur laisse sa place au plus médiocre. Car, de lui aussi, on peut apprendre. Quelle belle pratique. Pourim : on doit boire jusqu'à tomber par terre d'ivresse. On doit perdre le sens commun et devenir, je crois, un homme sans passé ni avenir. Un homme libre en somme. Sénèque dit : « on ne découvrirait rien si on se contentait de découvertes déjà faites. D'ailleurs à suivre un autre on ne trouve rien.» Or quelle plus belle occasion que d'explorer l'inconnu que de perdre le sens commun ?Nous parlerons joyeusement de la mort vendredi prochain. »

Il y avait aussi Jean qui était devenu notaire par hasard (peut-on le devenir par passion ?). Il buvait du café, du café estampillé « Balzac » mais ce n'était qu'un ersatz (il y avait longtemps que les terroirs des cafés rares avaient été fondus dans le commerce international). Il aimait Rimbaud aussi (qui surveillait au Yémen le tri du café avant « d'aller trafiquer dans l'inconnu »). Sa passion était les insectes, il était entomologiste comme Ernst Jünger dont il adorait le livre « les Falaises de Marbre ».

Jean était sec et amer.

Il avait écrit un récit « Neige » qui se déroule à Thouars et dont on trouvera copie en fin de ce livre.

Il écrivait à Marie :

« En attendant, il fait un froid de gueux. Sur la plaine ce matin des lames de rasoir étaient cachées dans le vent. Je lis en ce moment la correspondance de Mozart qui écrit cette étrange confidence : «  Je me rassieds, je recommence à écrire et voilà que j'entends quelque chose. Je me relève, et je n'entends plus qu'un faible bruit. Je sens alors une odeur de brûlé, partout où je vais ça pue. Si je vais à la fenêtre l'odeur se perd, si je rentre la tête dans la pièce l'odeur reprend. A la fin maman me dit «  qu'est-ce que tu paries que tu en as laissé échapper une »(une caisse). «Je ne crois pas maman ». « Si, si, certainement. » Je veux en avoir le cœur net, je fourre mon doigt dans mon cul puis sous mon nez : la maman avait raison ! » Mozart avait pété ! La scatologie était joyeusement servie au XVIIIe, dans les familles de la petite bourgeoisie, en revanche il était absolument tabou de parler de sexe. J'imagine que Mozart qui parle volontiers de ses « crottes » aurait été scandalisé de voir la couverture de « Penthouse » ! Vive la liberté nom de Dieu ! »

( A suivre)

vendredi 11 septembre 2020

mercredi 9 septembre 2020

Secousse (4)


    - Ceux qui composent cette étrange histoire.
    Ils sont six : Marie, Luc, Jean, Marc, Matthieu et Thomas. On va les suivre désormais dans le cheminement de leurs pensées et de leurs actions. -


Chapitre 4
Résumé : Au théâtre le souffleur avait des trous de mémoire,
on a été obligé de le licencier, mais il venait quand même,
il avait oublié qu'il ne faisait plus partie du personnel.

Ils étaient six (Marie, Jean, Luc, Matthieu, Marc, Thomas). C'est leur folle histoire qu'on va raconter ici. Tous les six se retrouvaient chaque vendredi au Café des Arts, à Thouars (tenu par un ancien para de la coloniale) ; puis selon la saison au bord du Thouet (par exemple l'été, dans la délicieuse prairie Michel Olivier. Quel bel hommage ! Avoir une prairie à son nom c'est mieux qu'un boulevard non ?) Ils se rassemblaient donc là, tous les cinq, quand les pêcheurs étaient partis vider un verre en rotant dans l'un de ces bistros à l'enseigne défraîchie dont le patron fatigué, levé depuis cinq heures (vendredi est jour de marché), disait en essuyant les tables sales avec un torchon sale : « Bon les gars, vous êtes bien mignons, mais, moi, demain je me lève tôt ; y a un super million et ça va gratter les grilles dès l'ouverture ! »
Ce à quoi les pêcheurs répondaient en cœur : « Les cons de pauvres ! Remets nous ça patron ! »
Les six amis se retrouvaient souvent aussi au restaurant « Le Trait d'Union » derrière l'église Saint-Médard, d'abord parce que la cuisine était parfaite, ensuite parce que le patron était aimable et portait des chemises extravagantes, et parce qu'enfin « Trait d'Union » était un nom qui touchait leur cœur.
Pourquoi ces six-là (Marie, Jean, Luc, Matthieu, Marc, Thomas) si différents étaient-ils ensemble chaque semaine ? Quel lien nouait leur vie ? C'est là le secret fou qui compose cette histoire d'autant plus incroyable qu'elle est possible !

Il y avait donc Marie, fantasque, qui buvait gaillardement pour faire la belle, et rentrait chez elle, flamboyante et seule. Belle certes, cultivée oui, mais affreusement seule comme au premier jour ; quand elle naquit et qu'elle découvrit qu'elle n'était pas sa mère, puis qu'elle était fille … et ensuite elle vécut tout ce cortège qui escorte les femmes … ces trucs qui obsèdent devant la glace… ces modes, ces sandales inconfortables, ces pinces qui tirent les cheveux, ces soutiens-gorge qui pincent, piquent, enferment. Ces trucs qui imposent des coquetteries et des faiblesses. Marie était le lien entre les cinq autres, comme la femme le fut quand elle mangea du fruit aux premiers temps, heureusement conseillée par le serpent, cet animal sage et sûrement pas fourbe (comme on veut le faire croire depuis plus de dix à quinze siècles avant Jésus Christ).

Si Marie eut des amants, personne n'en sut jamais rien. En tout cas ce ne fut ni Jean, ni Marc, ni Luc, ni Matthieu, ni Thomas. Cinq garçons qui la considéraient comme une sorte de divine révélation, hors de portée, pure et aimée.
C'est grâce à Marie qu'on apprit tout, car elle écrivit ces choses stupéfiantes dans un style net et précis, comme un coup de lame dans la gorge (ce geste de baïonnette qu'on apprend chez les paras pour éliminer sans bruit une sentinelle). Elle expliqua ce qui s'était produit, comment cela s'était produit, et surtout pourquoi cela advint. Elle était journaliste au Courrier de la République à la rédaction locale de Thouars, bien avant l'arrivée de Balthazar.
Son écrivain préféré était Claude Simon.
( A suivre)

mardi 8 septembre 2020

Secousse (3)



Résumé : Se lever le matin est toujours un effort, c'est bizarre de commencer sa journée par un effort


Je vous parle ici de Thouars... Mais peut-être ne connaissez-vous pas ? En une phrase on pourrait dire « c'est loin de tout », aux marches de l'Anjou et du Poitou, deux régions qui sont elles-mêmes en bordure de Paris et Bordeaux, vous situez ? Seules des routes départementales passent au large.

Deux aventures incroyables sont venues briser Thouars.
  • La révocation de l'édit de Nantes. Les prospères protestants ont soudain déménagé en Suisse ; ils avaient alors l'économie locale entre leurs mains soignées. Les réformistes partis, la richesse s'est réformée, et, par voie de conséquence, s'est effondrée. Il a fallu attendre longtemps pour retrouver un peu d'aisance. Il fallut alors vivre sans confort entre les porcs et les vaches.
  • Bien plus tard les cheminots sont arrivés. Et la vie fut de nouveau belle. Des locomotives à vapeur entraient en gare, elles avaient tant de grâce qu'on appelait leurs conducteurs « des sénateurs ». Certaines machines avaient des noms et des couleurs de filles, comme « Micheline ». Et avec les trains les grèves aussi entraient en gare. Les défilés entraient en ville. Les poings levés dans les cortèges. Les tomates jetées sur des dignitaires parisiens (sur le ministre Raoul Dautry). Ho ! La belle époque. On construisit des quartiers cheminots, d'abord celui des manœuvres et chargeurs de chaudière en parpaings de mâchefer : « le village noir ». Et puis celui des cheminots cossus « le Cottage ». Dans ce dernier quartier fleuri de géraniums on édifia même une église « Notre Dame du Cottage » en plaçant le chœur à l'ouest et la porte à l'est, c'est-à-dire complètement désorientée ! Normal les cheminots ne sont pas des culs bénis.
    Les cheminots renâclaient à venir se perdre à Thouars… et puis ils étaient charmés au point de venir y passer leur retraite. Ce brassage humain, ce partage entre gens du nord, du sud et de nulle part constitua l'esprit de la cité ouverte à tous, tolérante, apte à la fête. Mais quand la ligne ferroviaire Paris-Bordeaux a été détournée par Poitiers ; l'économie locale s'est effondrée de nouveau.
Après les parpaillots (très croyants) et les cheminots (très CGT) la ville a plié deux fois les genoux. Elle attend, depuis, un nouveau miracle. Elle tente le tourisme, mais ce n'est pas gagné. Josiane Birdat qui vend des couleurs rue Saint-Médard l'a dit au maire sans chercher midi à quatorze heures avec sa vulgarité naturelle  : « C'est pas à mon âge que je vais apprendre le face de citron et le bougnoule ! » Ce à quoi le maire a répondu : «  On ne dit pas ça Mme Birdat, on dit le japonais ou le quatari !»  Il reste qu'on n'a encore jamais vu un investisseur nippon ou un prince arabe rue Saint-Médard. Ici pas de pétrole et assez peu d'idées... Thouars avait bien été au bord de la mer… mais c'était au temps des dinosaures. Des dinosaures il en restait bien quelques uns chez les élus, mais cela ne faisait venir personne ! A part aux vins d'honneur.
( A suivre)

lundi 7 septembre 2020

Secousse(2)




Chapitre 2

Résumé : J'adorais me fâcher avec lui, lui aussi,
cela nous a beaucoup rapproché.



Marie avait été nommée chef d'agence à la rédaction de Thouars. Car à cette époque tous les mots n'étaient pas encore déclinés au féminin pour faire moderne. On écrivait chef et non cheffe.
C'est bizarre il y a des mots qui sont toujours féminins comme une cuite, une ivresse, une bouteille, une gnôle, une folie, une secousse, la panique.
Les pages locales du journal racontaient de belles histoires de chasseurs, sachant chasser, de pêcheurs sachant pêcher, de conscrits sachant boire, de médaillés sachant plastronner, d'anciens combattants vainqueurs glorieux à la cantine. Les élus locaux étaient contents. Le vendredi, sur le marché, on évoquait tout : l'arrogance de la ville voisine (Bressuire), la naissance du petit voisin dont les parents chômeurs dormaient jusqu'à midi, l'installation d'un toubib noir « sans aucun accent et bien gentil quand même. J'ai lu dans le journal qu'il venait de Mayotte.
- D'où ?
- Mayotte, le journal dit que cette île lointaine était française avant Nice !
- Du moment qu'il ne vient pas de Bressuire ! Comme ce dentiste hongrois qui fait un mal de chien. »

Marie quittait la rédaction vers 18 h. Quand, dans les rues en hiver, s'allument les salons. Qu'il neige un peu. Et que tout est paisible. Alors les télés vibrionnent derrière les rideaux. La semaine précédente elle avait « couvert » (comme on dit dans le jargon des rédactions), le dernier crime en date : une mère qui avait allumé le gaz pour tuer ses trois enfants. Elle avait quitté l'appartement pour aller boire au bistro en face. Elle avait dit aux enquêteurs son immense tristesse, ses dettes considérables, son incapacité à faire face aux dépenses de Noël qui s'annonçaient, son incapacité à joindre les pères partis loin dans d'autres villes lointaines comme Bressuire ou Melle et même Niort ! Elle pleurait beaucoup. Elle avait dit qu'elle avait voulu mourir avec ses gosses, mais qu'elle avait bien droit à un dernier verre. «  Et ces cons de voisins ont senti l'odeur du gaz avant mon retour »… Marie rédigea un beau papier sur les vertus de la maternité et la cruauté du temps présent, prose tempérée néanmoins par quelques belles phrases sur la morale et la responsabilité des femmes qui font des enfants à tout va.
(A suivre)