Résumé : Quand je pense qu'on abat des arbres pour faire des cercueils ! Le crime de Marie
Après les témoignages de ses amis, Marie passa à table. Au sens propre comme au figuré. Elle avait composé un magnifique banquet pour eux : potage aux truffes, langouste à la scandinave, cailles farcies aux morilles fraîches, filet de boeuf à la moutarde fine, fromages en abondance, succès praliné, café d’Éthiopie, alcools rares. Vins de Saumur Champigny : Thierry Germain et Bruno Dubois. A l'heure des cigares et du narguilé elle raconta :
- Je l'avoue, j'ai fait moins bien que vous, mes amis, mais j'ai agi en femme.
Les autres approuvèrent.
- Tu as fais en finesse, en délicatesse, en subtilité, en élégance, en intelligence.
- Peut-être, les amis, vous souvenez-vous de cet huissier dont la spécialité était de mettre à la rue des familles entières ? Il attendait l'hiver pour opérer. Il prenait un grand plaisir à forcer les portes et user des policiers et gendarmes qui, les pauvres, renâclaient à la tâche mais obéissaient, contraints et forcés. Il s'appelait Hubert Nuage. Comment un nom aussi poétique pouvait-il désigner cet ignoble personnage ? Bref, je savais qu'il aimait les voyages. Il venait souvent à la rédaction passer des annonces pour louer les appartements qu'il avait libérés avec la cruauté qu'on sait. Il disait que sa prochaine destination serait le Chili. Ce pays, depuis l'an passé, est sous la botte de Pinochet, lui dis-je. Je lui demandais : mais comment pouvez-vous aller en vacances dans une pareille dictature ? Il ria, il affirmait que Pinochet était un honnête homme, qu'il avait fait le ménage chez lui, qu'on n'avait pas besoin de poète comme ce communiste de Pablo Neruda et de musiciens comme Quilapayùn et Victor Jara, etc. etc. Je me suis donc procuré quelques tracts et quelques affichettes anarchistes. Un jour qu'il venait passer une énième annonce auprès de notre estimable secrétaire, et qu'il contestait le prix trop élevé de l'encart publicitaire, j'ai subtilisé un instant son attaché-case. Aux toilettes, j'ai ouvert la doublure du bagage avec une lame de rasoir, j'ai glissé les feuilles révolutionnaires dedans, j'ai masqué la coupure avec un scotch double face. Et j'ai posé le porte document dans la rédaction. Quand il se leva pour partir il chercha sa valisette et finit par la trouver devant mon bureau en soupirant d'aise :
- Ah elle est là, je ne m'en sépare jamais, c'est mon bébé, elle verra le Chili et vous ramènera les journaux autochtones, c'est promis.
Le jour de son départ, j'ai passé un coup de téléphone à l'ambassade du Chili pour les informer qu'un anarchiste français tenterait de débarquer dans leur pays avec une bombe dans son attaché-case. Je me suis fait passer pour une admiratrice de Pinochet, c'est la seule chose dont je ne suis pas fière. A sa descente d'avion, à Santiago, Hubert a été immédiatement arrêté. On ne trouva pas de bombe dans son bagage à main, mais les publications anarchistes habilement cachées. Il protesta de sa bonne foi. Présenta sa profession comme preuve. Rien n'y a fait. Il a disparu dans une geôle chilienne. Sans doute a-t-il été jeté à la mer du haut d'un hélicoptère comme les malheureux opposants du dictateur, le ventre ouvert pour qu'il coule plus facilement.
Les amis, Luc, Jean, Marc, Thomas, Matthieu applaudissaient à tout rompre.
(A suivre)
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