dimanche 4 octobre 2020

Secousse 20



Résumé : A quoi sert de planter un drapeau dans le désert ?

Balthazar avait la tête qui tournait. « Sous l'acacia à la 6-4-2 » écrivait Marie. Il aurait aimé faire partie de cette bande folle. C'était prodigieux certes, mais cela ne faisait pas avancer la copie qui affichait en cette période estivale un inquiétant étiage. En vieux routier il tartina un texte médiocre sur le camping ombragé riche d'une paix royale (que les adolescents nommaient « ennui mortel »). Puis un autre article sur la cueillette des melons. Car le melon était à l'époque une activité considérable à Thouars. Tous les jeunes, prolétaires ou bourgeois, y passaient l'été. Sous une chaleur de plomb, ils cueillaient ces fruits parmi des tiges piquantes. Le soir, dans les campings, ils buvaient et jouaient trois accords sur les guitares. Les garçons étaient bronzés et les filles épanouies. Ces décennies ont d'ailleurs formé la jeunesse thouarsaise (en ce Nord Deux-Sèvres). On travaillait dur, on gagnait bien. On avait de quoi s'acheter un scooter ou une chaîne stéréo avant d'aller à l'université. Et les parents n'avaient rien à dire. Cet argent obtenu à la sueur du front avait été honorablement gagné. D'ailleurs les parents étaient aussi passés par là pour s'acheter une 4 chevaux d'occase ou un banjo cinq cordes, ou même un dulcimer… histoire de draguer des filles épanouies. 

Ces articles rondement torchés, Balthazar se mit en quête d'un acacia. Il y en avait à foison sur le coteau en contrebas du château de Thouars… mais lequel choisir ? Que pouvait bien vouloir dire le message de Marie « sous l'acacia »... D'ordinaire on y trouve des fleurs au printemps… et que fait on  des fleurs ??? des beignets pardi ! Sur le marché du vendredi à côté du grilleur d'anguille, non loin des délicieux légumes de François Casier, il y avait une bonne femme qui faisait des beignets. Balthazar se présenta devant la bassine d'huile bouillante et demanda d'un air entendu « Hum… hum… avez-vous du 6-4-2 ? » L'harengère édentée glapit : « Tu m'prends pour une galante mon mignon ? " Balthazar battit retraite. 

Comme il achevait son sixième Calvados signé Julien Frémont, lequel savait tout des finesses de la distillation, une lumière s'alluma très loin dans sa cervelle (au fond troisième porte à droite) : Flash… Acacia… flash… livre de Claude Simon… flash… aperçu dans la mince bibliothèque de la rédaction entre une table des cubages pour grumes et un chouette livre de Michel Dalloni sur le Vélo… flash ! Il courut vers la rédaction – en vrai il tituba – il mit la clef dans la serrure en vrai il parvint après mille efforts à enfiler cette putain de bordel de merde de clef – il ouvrit la bibliothèque jeta tous les livres sauf trois : la table des cubages pour grumes, L'Acacia de Claude Simon et le livre de Michel Dalloni sur le Vélo. Il oscilla. Il feuilleta L'Acacia. A la fin de la page 190 et début de la page 191 (éditions de Minuit) il lut : « des choses jetées dans le filet » Et là, collé, un petit papier qui disait « Bravo camarade, tu es digne de nous rejoindre, va dans les archives, cherche le dossier « noces d'or » que personne ne consulte jamais, dans l'épaisseur du carton il y a des feuillets de papier pelure, tout y est… chiffré. »

Balthazar soupira. Marie avait un sens du caprice très féminin.

(A Suivre)

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