mardi 31 mai 2016

MENTEUR XVIII

(bien sûr on peut ne pas regarder jusqu'au bout, tant pis pour vous alors)


Avant de devenir hirsute et sage j'ai marché longtemps le long de cette mer.

Manger ? oui je le pouvais : des animaux saisis et dévorés crus. Mais boire ? Le premier jour un orage avait rempli les cuvettes naturelles, les trous dans les roches. Je marchais. Et je titubais.
Puis le soleil avait régné. Et j'allais en courant et hurlant.
Je voyais des femmes inconnues et goguenardes. Et des amis lointains. Et une fille qui, me voyant tournait les talons. Les filles ont cet instinct de préservation qui les rendent tellement  (in)différentes. Un besoin de sauver la couvée ... certainement.

Je traversais alors un bosquet d'épineux.
Mille feux dans les yeux.
Je titubais.
Et je m'effondrai.

En basculant en arrière le rideau de ronce s'effondra. Derrière une porte et derrière encore une pièce.
Je découvrais alors un refuge. Avec, dans le lit d'herbe sèche un vieux cadavre, celui d'un homme très sec. Dans le fond de la pièce le friselis d'un source...

Ainsi je prenais la place d'un vieil anachorète mort là il y a cent mille ans.. Il était bien équipé le bougre. Il avait construit sa cellule au bord même d'une fontaine qui traversait son unique pièce. Dans une sorte de placard je trouvai plusieurs briquets en mèche d'amadou.


Dans l'âtre j'allumais un feu. Puis je jetai le cadavre du haut du promontoire dans la mer. J'étais chez moi dès lors. Je piégeais des rats et je faisais griller des sauterelles. 

Une nouvelle vie commençait.

Je déféquais du haut des falaises, sans honte, à la vue des abeilles et des sauterelles. Sauvage ? oui, mais plus encore. Conscient de l'être.
Les hommes savent qu'ils ne savent pas. Les animaux ne savent pas qu'ils savent. Moi je savais ce qu'il y avait à savoir.

Par les temps qui courent


lundi 30 mai 2016

MENTEUR XVII






Il y a dans la solitude mille tortures et autant de plaisirs. Laissons-là les tortures dont on sait d'instinct les fers et les pics, les tranchants et les errements. Mais les plaisirs ! Ils offrent la liberté grande, celle de l'impudeur et celle de la folie. Etre seul vraiment est un trésor. Pas de compte à rendre. Pas de frontières. Pas de morale !

PAS DE MORALE !

On peut parler des langues inventées dans l'instant pour se parler à soi même et se comprendre. Imaginer des adverbes insensés. Avoir d'intimes pulsions comme ces papous qui fécondent la terre. Avoir des rêveries qu'il n'est pas nécessaire de partager au risque de les affadir.
Etre seul c'est croiser dieu et le diable d'un même mouvement.

Le diable te propose d'être le roi du monde et tu ris car tu es déjà - seul - le roi du monde.


Pas de bavardage vain quand on est seul. Ou alors des répliques anodines :
_ as-tu bien dormi ?
Auxquelles il n'est pas nécessaire de répondre. Car c'est bien là l'un des secrets : il n'est pas nécessaire de se répondre. On se parle seulement pour entendre une voix humaine, déformée d'ailleurs.
Je me couchais en me disant :
_ Ah la grand mère est bien fatiguée aujourd'hui !

Je déféquais du haut des falaises, sans honte, à la vue des abeilles et des sauterelles. Sauvage ? oui, mais plus encore. Conscient de l'être. 

Ma barbe avait poussé. Mais avant d'en arriver là il faut que je vous dise qu'une fois encore javais failli mourir.



Par les temps qui courent


dimanche 29 mai 2016

Par les temps qui courent


Debout ( 11 ... reprise)

La propagande par le fait eut un autre acteur : Auguste Vaillant. 




Auguste Vaillant


Le 9 décembre 1895 il jette une bombe à l'assemblée nationale. 80 blessés dont une soixantaine de spectateurs parmi eux Vaillant lui même. Plusieurs témoins avaient vu la bombe lancée, un cylindre d'environ quinze centimètres de long qui fit un bruit semblable " à celle d'un immense sac en papier qu'un enfant eut crevé par jeu. La détonation avait produit un éclair bleu d'une rare intensité."


Ce fut l'indignation générale et les socialistes ne criaient pas moins fort. Quelques journalistes prirent la défense de Vaillant et notamment Edouard Drumont pourtant d'extrême droite et antisémite qui écrivit ironiquement : " il s'est trouvé un scélérat de plus qui n'a rien compris aux enseignements de la société nouvelle. Le vol mérite les hautes distinctions quand il atteint des millions. On lui a montré des coquins qui ont trafiqué cyniquement leur mandat en rentrant triomphalement au palais Bourbon pour y faire des lois."Il est vrai qu'entre le trafic de légions d'honneur et le scandale de Panama ( qui ruina bien des pères de famille), les puissants ne montraient pas l'exemple. Les temps ont-ils changé ?



Vaillant aux assises expliqua qu'il n'avait pas voulu tuer, "sinon j'aurais apporté une bombe plus grosse!" Il fut condamné à mort et n'avait tué personne pourtant. Il refusa le verre de rhum devant la guillotine " je ne suis pas un assassin, je n'ai pas besoin d'alcool pour avoir du courage."


Les auteurs du scandale de Panama retrouvèrent eux une confortable liberté. Ils avaient pourtant eu à faire au procureur qui fit condamné Ravachol. Mais la procédure fut en l'occurrence plus douce...


Vengé mais épouvanté, le gouvernement fit passer en urgence une série de lois, les lois scélérates, qui autorisèrent la répression et muselèrent la liberté d'expression. Les députés savent se protéger.





 

MENTEUR XVI



La felouque s'approcha et stoppa à quelques mètres du rivage. Le fond était de sable clair, l'eau d'une absolue limpidité. Le capitaine me tendit une main que je dédaignai, je pris néanmoins la bouteille d'eau que le second m'offrait et je sautais par-dessus le bastingage.  L'eau était fraîche et agréable. Les flots baignaient mon torse. Comme je posais le pied sur la plage déserte, je vis la felouque mettre le cap sur le large.
J'étais dans une complète solitude, dans un monde inconnu, avec un litre d'eau potable. Les pieds nus,  un pantalon usé et une chemise déchirée.



Je m'allongeais sur le sable. En quelques minutes dans la fournaise de cette demi-journée, j'étais sec. J'entrais un peu dans les terres à la recherche de nourriture et d'un abri. Au passage je dérangeais des lézards verts et d'énormes scorpions noirs qui s'assoupissaient sur les rochers.


Il me fut aisé de lancer une grosse pierre sur un lézard. Je le déchirais avec les dents et le mangeais cru. Il était délicieux, avec néanmoins un arrière goût amer. Sur une colline je trouvais un figuier couvert de fruits savoureux.

Le monde était beau. La nuit venue le ciel était palpitant sous la pulsion de galaxies. La solitude eut alors mille vertus. Au moins je n'avais pas été égorgé, pas mangé par les poulpes. Demain il serait temps de trouver un toit, de quoi faire du feu, et une source. Je pouvais dormir repu, nu sur le caillou qui offrait la chaleur du jour sous la voûte céleste. L'air embaumait le thym et la résine.




Verdun ? Réponse à ceux d'extrême droite











…Les temps passent

Les années s’écoulent comme des nuages

Les soldats sont rentrés chez eux

A la maison

Dans leurs pays

Et voilà que se lève une nouvelle génération

Le rêve des Mamelles se réalise !

Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié russe,

Un peu belge, italien, annamite, tchèque

L’un à l’accent canadien, l’autre les yeux hindous

Dents face os jointure galbe démarche sourire

Ils ont tous quelque chose d’étranger et sont pourtant bien de chez nous

Au milieu d’eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil, le père des eaux,

Étendu avec des gosses qui lui coulent de partout

Entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe

Ils ressemblent à leur père et se départent de lui

Et ils parlent tous la langue d’Apollinaire


Blaise Cendrars (1887-1961)

vendredi 27 mai 2016

Croisée dans l'émission poétique de Jacques Bonnaffé




nous sommes un peu dur d'oreille
nous vivons trop près des machines
et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud
qu'on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l'heure de la mort à l'ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar

speak white
tell us that God is a great big shot
and that we're paid to trust him
speak white
c'est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d'âme
mais pour se vendre

ah! speak white
big deal
mais pour vous dire
l'éternité d'un jour de grève
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez-nous le soir
à l'heure où le soleil s'en vient crever au dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l'est de vos empires
rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d'huile

speak white
soyez à l'aise dans vos mots
nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d'avoir le monopole
de la correction de langage

dans la langue douce de Shakespeare
avec l'accent de Longfellow
parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viet-Nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l'ordre parlez répression
speak white
c'est une langue universelle
nous sommes nés pour la comprendre
avec ses mots lacrymogènes
avec ses mots matraques

speak white
tell us again about Freedom and Democracy
nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger ou de Little Rock

speak white
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendes vous répondre
we're doing all right
we're doing fine
We
are not alone

nous savons
que nous ne sommes pas seuls.
 

L'aphorisme de la semaine

Un type dont le nom de famille serait Moidabord
ce serait exagéré non ?
(Balthazar Forcalquier)

mercredi 25 mai 2016

MENTEUR XV


Le second fut tout éclaboussé du sang du mousse. Un morceau de cervelle lui sauta au visage. Je vis le capitaine hurler, mais je n'entendis pas son cri, le vent faisait son tapage. L'enfant ouvert fut poussé sous le plat-bord avant. Il y avait urgence ailleurs. La felouque dansait frénétiquement. Il n'y avait rien à faire qu'écoper furieusement et tenter de maintenir l'embarcation en forçant terriblement sur le gouvernail.

Cela dura des heures.

Et peu à peu le vent s'apaisa. La mer restait grosse. Nous étions épuisés. Nous dormîmes tour à tour, prenant chacun le quart afin d'orienter la proue toujours vers la houle.
Enfin tout redevint parfaitement calme. Le capitaine pleura enfin son neveu qui fut immergé, cousu dans une vieille voile, et lesté d'une gueuse.

_ Nous ne te tuerons pas, dit-il, la tempête a chassé les poulpes. C'est fini, nous n'avons plus rien à faire dans ces eaux tristes. Nous ne pouvons te ramener au port. Nous nous méfions de toi, tu pourrais parler, d'ailleurs tu parlerais. Nous allons te laisser sur une grève par là.
Il montrait l'Est.

En taillant dans la voile latine nous pûmes prélever sur la bordure un semblant de toile. Ce fut assez pour reprendre notre route, lentement. A bord personne ne parlait plus. Nous laissâmes la Lycie à bâbord puis la felouque piqua vers une plage de Cilicie.


mardi 24 mai 2016

MENTEUR XIV




Je fus réveillé par un paquet de mer qui bascula par-dessus le bastingage. Le vent s'était levé furieux. La mer s'enfouissait dans des gouffres puis s'élevait sur des cimes. La tempête était arrivée soudainement par l'ouest. La felouque était secouée. Rudoyée.



 Les voiles avaient été amenées et le capitaine avait toute les peines de monde à maintenir son embarcation face à la vague. Le vent tournait sur lui-même et semblait venir des quatre points cardinaux en même temps dans un formidable tumulte. L'eau embarquait à chaque secousse, le second et le mousse écopaient en haletant. L'eau baignait mes mollets.



J'hurlais au capitaine
_ Délivrez- moi, je vais aider à pomper.

Mais la trombe imposait son concert. Je vociférais muettement. Une angoisse affreuse est montée soudain. Je n'avais jamais eu alors vraiment peur. Je veux dire qu'une panique battait mes tempes à grands coups. J'avais bien voulu mourir sous le couteau mais la perspective d'une fin mouillée me dégoûtait, oui c'est cela me dégoûtait. Au moins il y a dans le sang un flamboiement qui claque.
Le tempête monta de deux crans.
Le second passa juste à côté et entendit ma clameur. D'un vif coup de lame il sectionna mes liens et je m'emparai d'un seau.

Le vent monta d'un degré et le mât s'effondra, ouvrant en deux le crâne du mousse.

Pour celle dont le nom est indien


lundi 23 mai 2016

MENTEUR XIII




Repu et un peu ivre j'optais pour une sorte d'examen de conscience. Somme toute c'était bien le moment de faire le dernier point sur ma vie. Elle avait été assez fade il faut bien le reconnaître et, en définitive, je n'avais pas grand chose à regretter.
Quelques étreintes furtives et pour tout dire animales. Aucune passion grésillante qui m'aurait crucifié et comblé. Aucune famille ( j'avais été placé tout petit dans des familles d'accueil qui n'offraient aucune tendresse mais encaissaient les chèques des services sociaux). Certes je regretterais quelques livres, mais j'avais lu tout Cendrars, tout Gracq, tout Balzac, l'essentiel de Huysmans et d'Augérias... Je ne voyais pas très bien ce qui aurait pu susciter encore de telles passions. Bach me manquerait.
Un regret cependant : je n'avais jamais vu de Vélasquez


ni de Caravage


Pour le reste pas de remords, même pas pour mes égarements néo-nazis. Tout cela n'était qu'un peu d'agitation absurde. Oui il était temps de tirer sa révérence. Je m'endormis en paix.



Encore pour le poète


dimanche 22 mai 2016

Pour le poète


MENTEUR XIII




Je m'éveillai dans le fond de la felouque. J'étais ligoté et jeté au milieu des nasses. Un atroce mal au crâne fendait ma tête en deux.
Le capitaine me voyant reprendre mes esprits me fit un magnifique sourire.

_ Nous allons pêcher le grand poulpe.
_ Mais pourquoi m'agresser je n'ai pas un sou ? Pas de famille ! De moi vous n'aurez rien puisque je n'ai rien.
Le capitaine son second et le mousse eurent un bon rire, bien franc, sans arrière pensée.


_ Mais c'est toi ta valeur ! Tu sais nous sommes pauvres aussi et nos familles sont vastes et affamées. Nous pêchons le poulpe géant. Et tu ne le sais pas, mais il n'y a pas meilleur appât que la chair humaine. Donc pour faire simple te voilà arrivé par les dieux dans notre bateau à la bonne saison. On va t'égorger, tu verras c'est rapide et presque sans douleur. Puis nous te débiterons et tu seras jeté dans les nasses. Il y a pire comme destinée. Pour une fois tu serviras une cause utile. Nos familles n'oublient jamais ceux qui les ont nourris.

Nous filions plein sud avec un doux vent allure vent arrière.
Bouffé par des poulpes, certes il n'y avait pas de gloire particulière à cette fin domestique mais bizarrement la perspective de retourner au bouillon originel, à la soupe primitive aurait pu, presque m'enchanter.
En réponse à ma question le capitaine me dit que nous serions sur zone la nuit prochaine au large de l'île de Karpathos.



Mon dernier dîner fut somptueux, le mousse regardait avec envie ma gamelle pleine d'olives noires à la puissante saveur de cheminée mêlées à des anchois, suivies de Kalitsounia (pâté crétois au fromage), de Fasolakia (haricots verts frais, cuits en ragoût avec des pommes de terre, des courgettes et de la sauce tomate) et pour finir une belle tranche de kasséri, un fromage mi-dur fait de lait de brebis non pasteurisé. Et raki à volonté. Ce fut une excellent dernier repas.


samedi 21 mai 2016

Quand nous étions dans le camp là-bas sous les chevaux


La phrase romanesque



As-tu vu avec quelle hâte, quelle joie juvénile de chiot, 
le fil de l’aspirateur rentre dans son logement quand, 
de son pied mutin elle appuie sur l’enrouleur ? 

(Balthazar Forcalquier)


mercredi 18 mai 2016

MENTEUR XII

Le vent enfin se leva. Le capitaine mit le cap plein sud vers sa zone de pêche favorite. Pendant que le mousse préparait une soupe de poissons sur un vieux brasero hors d'âge, le second et moi étions à la manœuvre. J'avais vécu si longtemps dans une grotte que le vent du large était comme un bain de jouvence.
 Le second qui avait une sale gueule de voyou hurlait des chansons de fumerie


Le capitaine ne pipait mot et souriait en me regardant. Je ne sais pourquoi mais j'étais mal à l'aise. Le mousse était un sale gosse sale et morveux, arrogant, une sorte de mauvais chien vicieux. Mais le temps était beau et nous croisions à l'est de la Crête. Nous apercevions l'île au loin, absolument blanche.
_ Que pêches-tu ? demandai-je au capitaine.
En riant il me répondit :
_  χταπόδι ( le poulpe) το μεγάλο χταπόδι ( la grande pieuvre).
Et le second aussi se marrait et le mousse ricanait.


Le  capitaine me demanda de le rejoindre à la proue du bateau et me montra au loin une ligne imaginaire, c'était là-bas que nous allions pêcher. Je reçus alors un violent coup sur la tête et je sombrai dans l'inconscience

mardi 17 mai 2016

MENTEUR XI

Chrysostome attendait la deuxième question. J'étais ivre et j'avais oublié ce pourquoi j'étais déjà venu...
_ Heu...
_ Ressers-nous à boire.
Nous bûmes et la divine clarté illumina mon esprit.
_ Ah oui ! Marc et Matthieu rapportent que tous les péchés seront remis... Heu je cite de mémoire : "En vérité,  Jésus le dit, tous les péchés  seront pardonnées aux fils des hommes, ainsi que les blasphèmes qu'ils auront proférés; mais quiconque blasphème contre le saint-esprit n'obtiendra jamais le pardon: il est coupable d'un péché éternel." Bon d'accord on peut tout faire sauf contre le saint-esprit. D'accord ?
_ C'est la vérité des évangiles.
_ Mais c'est quoi le péché contre le saint-esprit ?
J'attendis la réponse. Il faisait tout à fait noir. Je ne distinguais plus Chrysostome. Le temps passait. Et soudain je l'entendis qui ronflait. Le saint homme complètement bourré s'était affaissé et il roupillait.
Dégoûté, je ramassais mes quelques affaires et je partis dans les ténèbres, laissant là cet imposteur qui puait la vieille sueur.

Je retrouvais un village en bord de mer, un pêcheur voulut bien m'embarquer  sur une sorte de felouque en échange d'un coup de main.


 La mer était absolument calme et triste. Un matelot jouait du bouzouki en attendant que le vent se lève. Et nous buvions force raki.


Une nouvelle vie débutait. Le capitaine avait un vieux colt caché sous sa banquette et son second ne quittait pas un long couteau dont le manche était ficelé d'une vieille corde. On aurait dit l'un de ces couteaux d'égorgeur ramenés dans les tranchées par les troupes coloniales.


lundi 16 mai 2016

MENTEUR X



_ "Bon je vais répondre à tes questions, moins de cinq ! pas plus ! D'abord prends la bouteille sous mon oreiller".
Je trouvai là un flacon en effet, je servis deux verres. Et nous bûmes en silence. Moi qui ne buvais que du thé et de l'eau depuis de longs mois, je sentis la vague puissante monter dans mon cerveau.
_ "Encore" dit-il.
Et nous bûmes en silence.
_ "Encore" dit-il.
Et nous bûmes en silence.
_ "Encore" dit-il.
Et nous bûmes en silence.



J'étais tout à fait ivre. Mais lui semblait hiératique, frais. Il souriait.
_ " Ah tu es surpris ?" me dit-il  " tu ne bois pas souvent. Moi je me torche chaque nuit. J'ai trouvé au fond de la grotte, sous une pierre qu'il faut faire pivoter, j'ai trouvé une énorme réserve d'alcool de date."
"Encore" dit-il.
Et nous bûmes en silence.
_ " Pose ta première question."
Je rassemblais mes idées qui s'en allaient à droite et à gauche comme des aigrettes dans le vent.
_ "Heu... Ah oui... Jésus fait-il décidément tout à l'envers ?"
_ "Oui, comment le sais-tu ?"
_ " Quand il dit : je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres. Alors qu'il va bientôt mourir. N'est-ce pas tardif ?"
_ "Absolument il fait tout à l'envers, ressers-moi à boire. Il sait que le monde est une illusion et que la fin est aussi le début, comme le serpent qui se mord la queue. En réalité rien ne commence et rien ne finit. C'est bête de le dire ainsi, mais c'est comme toute évidence ! Deuxième question ?"

dimanche 15 mai 2016

MENTEUR IX








La vie en compagnie de cet anachorète en rupture de solitude, à cause de moi, était simple. Réveil à l'aube le matin dans cette grotte qui sentait puissamment la fumée et le benjoin. Ma première tâche était de relancer le feu. Parfois Chrysostome était déjà parti, parfois il attendait dehors, debout, totalement absent. Une poignée de thé dans une casserole d'eau. Nous buvions le thé dans de petits verres brûlant. J'étais astreint au silence absolu. Parfois il aboyait pour me signifier que j'avais assez bu de thé. Ensuite descente dans la gorge en contrebas. Il ne se baignait pas, un odeur de bête exhalait de sa sainte personne. Mais lui me voulait propre. Je me plongeais donc dans l'eau glacée. Et j'en profitais pour aller débusquer quelques poissons dans leurs refuges sous les pierres ou dans les excavations obscures des racines qui mangeaient la berge.
La matinée il ne se passait rien. Nous restions assis tout en haut de la falaise, les pieds pendant dans le vide. A midi nous ne déjeunions pas, ou alors seulement d'une poignée de mûres ou de quelques figues sèches qu'il tirait d'un très vieux sac de cuir pendu à un clou au-dessus de sa paillasse dans la caverne.
L'après-midi nous déambulions dans notre montagne à travers les genêts, et les ronces. Il fallait absolument revenir avec les jambes griffées au sang. Lui, comme moi. Et si nous devions traverser un champ d'orties il souriait tout joyeux de cette épreuve brûlante et il chantait.


Le soir je  vidait les poissons, et nous les dévorions grillés et délicieux. Parfois  nous dînions de lézards qui avaient basculé dans l’abîme.  La vie était fluide, et simple, je veux dire sans pli.
Un jour enfin il me demanda 
_ " Que veux-tu enfin, tu m'ennuies à être toujours dans mes pattes".
_ "J'ai des questions à te poser".
_ "Veux-tu des réponses ?"
_ "Naturellement !'
Il fit une grimace et cracha.
_ " ça je m'en doutais. Tu en es encore que là !"
Il soupira
_ " tu n'as donc encore rien appris."
Puis après un long silence il ajouta :
_ "Je t'écoute...Combien de questions ?"
_ " Moins de cinq."
_ "Pfff!"

mercredi 11 mai 2016

MENTEUR VIII



Le mont Athos c'est exactement l'endroit où je devais être dans mon état d'errance morale, face à ce mur qui refusait de se fendre.


Sur les pentes je cherchais le moine, le sage celui qui saurait éclairer ma voie. Accrochés à des pitons les monastères ne manquaient pas. Ils avaient  leurs tourelles, leurs cloches et leurs balcons de bois. Mais dedans ce n'était que grasse noire, remugle mélangé à l'encens, icônes noirs de suie, vieux à barbe, sales et vicieux. Tous des pédés ! Ils ne pensaient qu'à vous basculer derrière les fonts baptismaux. J'ai appris à fuir ces phalanstères déviants. Certes l'homosexualité n'était pas totalement exclue des groupes nazis que j'avais jadis fréquentés, mais je n'y avais jamais goûté, la répulsion était trop puissante. Bref j'abandonnais les lieux habités.


Et me perdais dans les gorges profondes au fond desquelles cascadaient des torrents glacés. J'allais aussi sur les sommets déserts. Un jour, enfin, je le vis. C'était lui !


Il méritait que je lasse ses sandales. Mais ses pieds sentaient forts !


Lorsqu'il me vit il s'immobilisa tout à fait. Il devint un caillou.
_ Est-ce toi Chrysostome ?
En guise de réponse il aboya.

Puis au bout d'un long moment il me demanda si j'avais faim.
_ Oh oui.
Il me fit signe d'attendre et tourna les talons. Je restais là trois jours. Il revint avec une poignée de pois chiches que je dévorais en un instant sous ses yeux incrédules.
Ainsi commença ma nouvelle vie.




mardi 10 mai 2016

MENTEUR VII

"Au reste, amenez ici mes ennemis, qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, et tuez-les en ma présence." Luc (chapitre 19 verset 27)
Fallait-il sortir le couteau et faire place nette ? C'est en tout cas ce que disait la parole d'évangile. Fallait-il égorger tous ces porcs qui n'aimaient pas Jésus ?


Ah le beau bain de sang qui s'annonçait. Et un saint bain ! de surcroît !


La fête aux démons allait être splendide. 
L'hérétique en guise de veau d'or. Nous n'en manquions pas :

Les Abeloïtes. Les Adamites. Les Aériens. Les Aétiens. Les Aloges. Les Angéliques. Les Antidicomarites.Les Apellites. Les Apolinaristes. Les Apostoliques. Les Aquatiques. Les Arabiques. LesArchonticiens. Les Artotyrites. Les Ascites. Les Bardesanistes. Les Basilidiens. Les Caïnites. Les Carpocratiens. Les Cataphrygiens. Les Célicoles. Les Cerdoniens. Les Cérinthiens et les Mérinthiens. Les Cléobiens. Les Colluthiens. Les Colorbasiens. Les . Les Floriniens. Les Helvidiens. Les Hiéracites. Les Héracléonites. Les Jovinianistes. Les Macédoniens
. Les MarcionitesLes Marcites. Les Marcosiens. Les Malchisédéciens. Les Méléciens et les Manichéens. Les Messaliens. Les Naasseniens. Les Nazaréens. Les Nestoriens. Les Nicolaïtes. Les Noëtiens. Les Novatiens. Les Ophites. Les Origénistes. Les Paterniens. Les Pélagiens . Les Pépuziens. Les Perates. Les Phibionites. Les Photiniens. LesPtolémaïtes. Les Sabelliens. Les Sévériens. Les Simoniens. LesTatianites. Les Tessarescédécatites. Les Théodotiens. LesVadiens et les
valentiniens

Sans compter les musulmans, les juifs, les animistes, panthéistes et autres païens de la plus belle eau.

Ah le beau bain de sang !

J'allais ainsi cheminant sur les pentes du mont Athos, ruminant les fureurs, humant déjà le fumet des bûchers à venir, quand je croisais celui qui changea mon monde, je veux dire plus exactement ma vision du monde.



lundi 9 mai 2016

MENTEUR VI ( c'est donc vrai que Jésus fait tout à l'envers)


"Au reste, amenez ici mes ennemis, qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, et tuez-les en ma présence." Voici ce qui m'enchanta chez Luc (chapitre 19 verset 27) Certaines versions disent même "égorgez" au lieu de "tuez" ce qui ajoute une note assez vive au contexte.

Ah ! voilà qui était concret et voilà qui me faisait souvenir du beau Coran :  sourate 5 dite "de la table servie", verset 42 "Quant au voleur et à la voleuse, à tous deux coupez la main, en récompense de ce qu'ils se sont acquis, en punition de la part d'Allah. Et Allah est Puissant, Sage."

(الله أَكْبَر) "Dieu est  le  plus grand ».


J'aurais aimé être muezzin comme  Bilal ibn Rabâh ( بلال بن رباح ). Mais je n'étais pas noir comme Bilal et ma voix convenait à des incantations plus profanes ainsi qu'on va le voir.

Bien sûr je ne savais pas le sens caché de ces mots, je ne savais pas qu'il y a plusieurs niveaux de lecture. Je croyais par exemple que mentir était le contraire de la vérité. J'étais fort niais, il est vrai.
Je devins alors pèlerin illuminé, hurlant à la face du monde. On me prenait pour un original. Je ne voulais rien d'autre qu'égorger au nom de Dieu. Puisque là était la voie céleste, égorger ou, pour le moins, tailler dans les chairs.

J'échappais sans effort au terrorisme vulgaire. Ces jeunes qui psalmodiaient bêtement me faisaient rire. 



Ce fut une belle époque. Stupide certes, mais riche de folies. Je devins chanteur dans un groupe de rock métal. Mes extravagances avaient séduit le manager, et comme le chanteur du groupe était mort bêtement en tombant d'un escabeau, on me demanda de le remplacer. 
Les membres du groupe m'ont vite haï, il est vrai que je m'amusais à chanter, sur scène, du haut d'un escabeau, et cela ne les faisait pas rire du tout.




Je retrouvais là de vieux amis, du temps de mes folies extrêmes, quand je divaguais le crâne rasé et le bras tendu, hurlant des bêtises, des allégeances au chef... le "chef" ... aujourd'hui ce mot me fait rire aux larmes, mais pas à l'époque.

J'ai regretté, un peu, de ne pas avoir le tatouage " 8/8" sur la poitrine. 
Mais en réalité nous ne jouions que devant des vieux dans des  festivals fort doux. Les filles néanmoins étaient assez  vulgaires et ne savaient pas boire de la bière. Dommage ! Evidemment j'ai croisé là de vieux copains fachos, ils avaient pris du bide et restaient échoués sur des conneries, dans le genre "Ein Volk, ein Reich, ein Führer " ( Un peuple, un empire, un chef). 
Bref .
Grâce aux cachets je me suis offert un voyage en Grèce. 


Et c'est là que j'ai découvert le sens caché de ce qui est dit au début de ce paragraphe.


dimanche 8 mai 2016

MENTEUR V



Las d'être musulman, et même si je buvais de l'alcool étant membre des Alévi, et même si, avec les femmes, nous dansions, pieds nus, sur les tapis de haute laine... je me suis lassé.



Je me suis engagé aux côtés des Peshmerga. Ce fut une belle tranche de vie. Nous n'avions peur de rien et encore moins de mourir. Nous buvions du thé brûlant dans les neiges d'Anatolie. Les femmes étaient plus courageuses que nous, elles nous épataient. Elles étaient des reines. Elles étaient intouchables. Nous n'étions pas dignes d'elles. Nous ne faisions pas peur à nos adversaires, elles, si !

Elles allaient en bande et dansaient seules autour des feux. 




Alors j'ai marché sur une mine. Je suis resté longtemps avec le pied sur le détonateur. Si je soulageais la pression je partais en morceaux. Je suis resté là six heures. Jusqu'à ce qu'elle vienne et me dise
"Sakin olun . Ben bir taş koyacağız" ( Reste calme. Je vais mettre une pierre).
Elle fredonnait cette air de Livaneli



Elle a mis une pierre sur mon pied et la pierre a remplacé mon pied.
Je suis parti. 

Trop communistes, même si le combat était beau. Si beau !

Je suis devenu chrétien ( ce ne fut pas si simple ) et j'ai mangé du porc parce que " ce n'est pas ce qui entre dans la bouche de l'homme qui est impur, c'est ce qui en sort".


Sainte Ludivine de Shiedam acceptait toutes les plaies que le Christ voulait bien lui offrir. Elle vécut mille souffrances et autant de plaies purulentes. Heureusement, Dieu, dans sa grande bonté fit en sorte que son pu exhalait les plus délicats effluves, les fragrances les plus fines "autant de cassolettes de parfum" écrit Huysmans . Ainsi se bousculait-on pour la soigner.


J'ai, alors, retrouvé de vieux réflexes oubliés.

Ce qui me plut dans l'évangile de Luc c'est ceci ... ( suite demain)



Talkin' bout a Revolution


samedi 7 mai 2016

mercredi 4 mai 2016

MENTEUR IV





La chanson dit : "Journée noire, nuit d'orage. Pas d'amour, pas d'espoir en vue. Ne pleure pas, il vient. Doux chant du salut".

Jadis alors que j'étais dans cette armée folle qui nous faisait hurler des insanités comme roulaient
les GMC vers les avions qui devaient nous larguer de nuit sur des ronciers ; jadis sous le béret rouge, les vieilles dames nous laissaient le passage sur les trottoirs. J'en étais meurtri, véritablement.
 Et nous chantions le refrain du régiment sur air allemand.








Jadis j'allais, rasé et arrogant. Ou plutôt nous allions en meute. Chassant le Crouille et le Youpin. Le Crouille était plus facile à trouver lorsqu'il revenait fourbu des chantiers. Nous le laissions meurtri et effaré. Il ne comprenait pas la supériorité de la race blanche. Et nous ne savions pas bien expliquer, il faut reconnaître.
J'arborais le tee-shirt "double 8 ".


Je voulais aussi le tatouage comme celui-ci :


Ou bien un truc dans ce genre

Mais à force d'hésiter je ne me suis pas décidé, et puis j'ai changé. Je ne suis donc pas tatoué mais il s'en est fallu d'un cheveu, quoique nous allions rasés à l'époque.

Je peux bien dévoiler le secret aujourd'hui : 8 est la 8ème lettre de l'alphabet : le H. Deux fois 8 signifie "H-H" soit "Heil Hitler".

A l'époque nous mangions des gâteaux comme ceux-ci 


Mais je me suis lassé des chants de caserne qui tournent en boucle. Je me suis lassé de l'odeur amère du parachute qui s'ouvre. Je me suis lassé de la bière. Je me suis lassé de faire bouillir les culasses de pistolet mitrailleur dans les casques lourds pour leur enlever toute trace de graisse. Je me suis lassé de l'asperge, ce mât qu'il fallait agripper en sautant dans le vide.



  Le démontage du fusil les yeux bandés ne m'amusait plus.Et mes copains ont commencé à me dégoûter. Leur vulgarité était sans borne.

Et puis, surtout j'ai croisé le regard de Liraz. Elle était juive. Elle s'appelait Liraz qui signifie "mon mystère" mais je l'appellais Lipaz qui veut dire "mon or pur". Alors bien sûr j'ai abandonné mes infectes habitudes. 
Cela a été facile : on remplit si aisément la vacuité. Avec Lipaz le monde a changé. Je suis devenu Soufi.



Et je récitais Roumi

Ô Jour lève-toi, les atomes sont en train de danser.

Grâce à Lui, l'univers est en train de danser.

Les âmes dansent, triomphant avec extase.

Je murmurerai dans ton oreille où cette danse les mène.

Tous les atomes dans l'air et le désert le savent bien, ils semblent fous.

Chaque simple atome, heureux ou misérable, tombe amoureux du soleil, dont rien ne peut être dit.


Rien d'autre qu'ivresse et transport

Le combat ordinaire


mardi 3 mai 2016

MENTEUR III






J'ai écrit jadis un évangile du mensonge bien loin de Saint-Jean Chrysostome "la bouche d'or". Un évangile apocryphe, c'est à dire caché. Il était plein de folies et de suavité.
"La vérité rend libre" dit Saint-Jean ( chap 8 v 32). Si cela est exact, elle vous jette aussi dans la solitude noire, j'en ai fait l'amère expérience dans une autre vie. Aussi me voilà menteur comme un arracheur de dents et je m'en porte très bien. Il m'arrive même de me mentir à moi-même, de me construire des vies somptueuses peuplées de maîtresses d'une effarante beauté et d'une douceur si voluptueuse que je m'enivre d'elles.



 L'homme libre doit mentir, ou mourir d'ennui. D'ailleurs qu'est-ce que la vérité ? Une nuance, rien d'autre. La nuance peut évoluer et basculer dans le mensonge,  sans très bien qu'on sache comment ni pourquoi. La frontière est ténue, si fine même qu'en la parcourant du regard on se met à loucher.
Il n'y a qu'une façon alors de savoir : c'est de faire couler le sang.
Lorsque j'étais bûcheron il pouvait être très tragique de se laisser aller au délire. Voir des arbres tomber, assister à l'ouverture soudaine des trouées dans le ciel, sentir le soleil s’engouffrer brutalement dans la futaie, cela peut rendre fou.



Il est bon alors de s'entailler profondément la cuisse et de faire couler son sang. D'abord c'est un partage avec les arbres et puis la blessure calme des fureurs, on sait alors que le monde a quelque chose d'un peu réel. C'est aussi une manière d'initiation. Toute initiation doit faire un peu pleurer, sinon elle n'est pas valable... disons qu'elle est alors un peu surfaite... disons qu'elle est à la portée de tous et que, par conséquent, elle n'est pas accomplie.

Nous sommes les soldats des marais,




Les soldats des marais

Peu importe où se pose le regard,
Marais et landes sont tout ce qu'il rencontre
Le chant des oiseaux ne nous revigore point,
Les chênes se dressent, tordus et dénudés
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais
Ici, dans la lande déserte,
Le camp est installé
Nous voilà bien loin de toute joie,
Casés derrière les fils barbelés
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais
Chaque matin, ce sont des files
Qui pour travailler s'avancent dans le marais
Ils creusent sous le soleil ardent,
Mais leurs pensées vont aux leurs
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais
De leur maison, de leur maison tous se languissent,
De leurs parents, de leur femme et de leur enfant
Plus d'une poitrine se gonfle d'un soupir,
Car de cet endroit nous sommes prisonniers
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais
Les gardes se relaient sans cesse,
Personne, personne ne peut passer
Fuir ne pourrait que nous coûter la vie,
Car de quatre clôtures ce fort est ceint
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais
Mais il ne nous servirait à rien de nous plaindre,
L'hiver ne peut être éternel
Un jour nous dirons avec joie :
'Foyer, tu es à nouveau mien'
Nous sommes les soldats des marais,
Et avec nos bêches nous avançons
Dans le marais