Résumé : Je me demande quelle langue on parle au paradis, et s'il y a des cours pour apprendre.
Le crime de Matthieu
Matthieu avait été apprenti dans sa jeunesse. C'était bien avant de devenir commerçant en matériel Hi-Fi et appareils ménagers. Il disait en riant que son meilleur chiffre d'affaires, avant même Noël, c'était la fête de mères. Les papas pensaient faire plaisir en offrant les derniers nés de la technologies à leur épouse : des couteaux électriques, des ouvre-boites électriques à fixer sur le mur, des éplucheuses à patates électriques à poser sur la paillasse, des machines à tricoter ! Les mamans attendaient un petit bijou, elles avaient des machines.
Matthieu avait été apprenti dans une forge. Il aidait à manier d'énormes marteaux pilons qui emboutissaient des ferrailles avec une force diabolique. Il avait vu agir là un certain Jean-Claude Viache. Un gars qui ne faisait jamais grève et travaillait quand tous ses camarades tentaient de bloquer les ateliers. On appelait ces briseurs de grève les « jaunes », parce qu'ils masquaient les fenêtres de papiers jaunes afin qu'on ne les reconnaissent pas. Ce Jean-Claude Viache devint contremaître (un mot piégé car le contre-maître n'est jamais contre le maître, il est toujours pour). Puis Jean-Claude Viache devint cadre. Puis il créa sa boîte : J C V C E, Jean-Claude Viache Consulting Entreprise. Il eut beaucoup de succès et fit fermer des dizaines d'ateliers, délocalisa, fit déménager les machines au Pakistan, broya les syndicats, fit voler en éclats les accords d'entreprise, instaura l'intérim partout. Dans son sillage les chômeurs se comptaient par milliers. Il fut même président d'un club Rotary dans une ville voisine. Il mangeait raffiné et buvait fin. Il aimait les vins aux étiquettes prestigieuses et aux tarifs extravagants.
Un jour Matthieu le croisa par hasard. Viache roulait en Porsche 930. Matthieu le suivit, nota l'adresse. Rapidement Matthieu sut que Jean-Claude Viache vivait seul dans une vaste bâtisse, loin de la ville, gardée par un molosse. Matthieu donna une boulette de viande au toutou qui s'endormit en une minute grâce au somnifère donné par Luc (le pharmacien). Il pénétra chez Viache qui dormait dans une chambre affreusement décorée. Matthieu lui fit une piqûre de sédatif gentiment fournie par Luc. C'était l'été, tout le monde était en vacances, même dans la forge où Matthieu avait fait ses premiers pas syndicaux et où Jean-Claude Viache avait entrepris sa carrière de fumier. Il savait qu'une petite porte était toujours ouverte ; qui viendrait voler des machines pesant dix tonnes ?
Le témoignage rapporté par Marie dans ses documents faisait froid dans le dos.
- J'ai attaché Jean-Claude, nous raconta Matthieu. Quand ce fumier s'est réveillé il avait la tête posée sous la presse de cinq tonnes. Il me reconnut tout de suite. Il n'avait pas peur et me menaça :
- Tu n'auras pas les couilles, tu n'es qu'une merde, je me souviens de toi, tu étais pitoyable à la sortie de l'usine en essayant de fourguer tes tracts syndicaux. Allez, libère-moi. T'as pas de couilles mais t'es pas un assassin. S'il y a un tueur ici, c'est bien moi. Libère-moi et je fermerai les yeux, promis, juré. »
Matthieu poursuivait :
- Très calmement j'ai appuyé sur le gros bouton rouge, dans un bruit infernal la presse s'est abattue. Sa tête avait l'épaisseur d'une crêpe, très large, bien propre, toute ronde comme si la cervelle et le sang s'étaient répandus dans une fine et vaste enveloppe. Il n'avait pas tout sali pour une fois. « Made in France » était imprimé en relief et en gros sur sa tronche.
Je l'ai mis dans un sac. Je suis retourné chez lui. J'ai creusé une grande partie de la nuit un trou très profond. J'ai jeté le corps dedans. Je l'ai couvert d'une bonne couche de terre bien tassée. Puis j'ai tué le chien d'une balle de 22 long rifle (merci pour le prêt, Thomas), je l'ai jeté aussi dans la fosse et j'ai mis le reste de terre par dessus.
Quand on s'est inquiété de la disparition de Jean-Claude Viache, la gendarmerie est allée chez lui. Elle a fouillé la maison et le jardin. Elle a vu la fosse. Les gendarmes ont creusé. Ils ont trouvé le chien mort. Ils ont pensé que Jean-Claude l'avait tué avant de partir loin, très loin, à l'étranger. Les gendarmes ne sont pas allés voir sous le chien ! On n'a jamais cherché le meurtrier puisqu'il n'y en avait pas. Les comptes du disparu étaient intacts, on se dit que l'homme, sans doute pris de remords, était parti en sandales et les poches vides faire pénitence dans quelque ashram tibétain.
Marie concluait que ce dernier tour était digne d'une grand et vaste libation. Tous attendait désormais le dernier crime parfait, celui de Marie,
elle s'exécuta, si on peut dire.
( A suivre)
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