mercredi 17 juin 2015

La Jouissance du monde 3 (II)










Amogh était mon ami depuis toujours, avant même l'apparition du gaz et sa représentation sur le rouleau de peau. Depuis quand ? Depuis des batailles d'enfants sur la pelouse. Il était nerveux et fort, il aimait avoir le dessus. Il l'avait toujours parce que je n'étais pas armé alors, et ces luttes me lassaient vite. Pas lui... il n'en finissait jamais de se tordre, de soulever des bûches, de déplacer des pierres, d'aller, de venir, d'hurler dans le vent, et de découvrir ses dents solides. Je l'avais vu s'épuiser des heures durant dans les étangs, remonter sans cesse la glaise, en vain, traquer les rats musqués, crier nu sous la pluie, la boue traçant de longs sillages sur son corps musculeux. Cet homme était en quête. Mais de quoi ? De jouissances certainement, mais pas de ces jouissances soudaines et un peu vulgaires ; il était en quête de jouissances sauvages et douces, celles qui montent et tournent et hésitent et plongent et vont et viennent et s'assoupissent et se relancent et … Et ne s'achèvent jamais.

Il était chasseur, il aimait le sang chaud quand il coulait sur sa main. Il aimait ce dernier instant de vie, cette fulgurance... et ce regard étonné (jamais révolté) de l'animal qui expire. Juste avant cet instant il caressait le poil trempé.

Nous étions ensauvagés.

Car j'étais lui et lui était moi... Où diable avais-je entendu cette phrase curieuse ?




(A SUIVRE LUNDI)

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