mercredi 6 novembre 2024

En haut (4)

 


Sans cesse tout change devant moi. Dans mon phare le monde est en perpétuel mouvement. Le smaragdin de la mer passe au royal sinople, puis soudain une vague jade couvre tout ; le ciel trempé dans la guède s'épanche peu à peu vers des nuances céruléennes avant de plonger tout nu dans l'azur. Les parfums suivent amoureusement ces nuances, les effluves puissants exhalent des fragrances de poissons rares qui vivent dans les grandes profondeurs obscures où ils vivent seuls durant des siècles car il est rare de croiser un semblable pour se reproduire. Seuls comme moi ils vont dans les abîmes en cultivant une sagesse rare. Là où ils sont, personne ne les traquent, personne ne sait d'ailleurs qu'ils existent.

Les poissons lointains sont seuls. C'est là mon idéal, mais dans le phare la terre parfois m'appelle. La radio grésille et demande «  besoin de rien ? ». J'aurais besoin qu'elle se taise je réponds immuablement «  Rien A Signaler ». Je me dis qu'un jour peut-être le monde, là-bas sur la terre, va s'effondrer. Un virus mortel supprimera l'humanité et moi je n'en saurai rien. Certes je ne le souhaite pas, mais en réalité cela m'est indifférent. Je ne sais pas ce qu'est l'humanité. Je mange des poudres stockées là depuis des lustres. Je bois l'eau de pluie. Ma solitude s'appelle aussi liberté grande.

( A suivre lundi)

mardi 5 novembre 2024

En haut (3)

 


Une journée type. Je me réveille à 6 h, immuablement. Je descends à la cave vérifier que la mer n'a pas tenté de me voler quelques bouteilles. Parfois quand le vent du nord-ouest devient furieux il pousse des vagues gigantesques qui cognent aux vitres et tentent d'entrer par effraction dans le vestibule. Il faut alors écoper comme le ferait un naufrager. Heureusement je dispose depuis peu d'une bonne pompe. Il faut ensuite tout sécher patiemment. Je monte à la cuisine préparer mon petit déjeuner chocolaté dans le silence absolu. La radio maritime ne sera allumée qu'à 7 h 08. Elle est toujours silencieuse et ne trouble guère ma solitude grande. La journée ensuite s'écoule mollement, je vérifie quotidiennement les mécanismes, je remplis les formulaires dans mon bureau d'un constant RAS (Rien A Signaler). Je graisse des rouages, je lance la machine de secours quelques secondes. Puis je vais tout en haut essuyer les épaisses plaques de verre qui jettent la lumière au loin comme ferait une semeuse. La journée s'écoule sans heurt et à la tombée de la nuit un capteur dis au phare « il est temps de te réveiller ». Il s'allume alors automatiquement. C'est mon moment préféré. Quelle beauté, quelle complicité.

( A suivre)


lundi 4 novembre 2024

En haut (2)

 


Entre l’île de Molène et Ouessant la mer est capricieuse.

Huit niveaux composent ma coquille. Le vestibule tout en bas qui reçoit les vagues furieuses d'hiver, elles frappent à la porte des jours entiers. L'escalier en colimaçon conduit à la cuisine, puis à une chambre (toujours vides sauf quand un naufragé passe au large), et ensuite une autre chambre ( la mienne) lambrissée avec du chêne de Hongrie, le lit est clos comme enfermé dans une case, dedans je suis comme un navigateur médiéval sans boussole, je rêve selon les vents. Plus haut encore la grande salle lambrissée d'acajou et d'ébène qui abrite mon bureau, et tout en haut la salle des machines, puis dans la capuche en verre : la salle de veille et tout au sommet la lanterne équipée de lentilles de Fresnel qui porte la lumière à 20 km Et tout en bas, une cave qu'on appelle la citerne. Voilà mon royaume où la solitude m'occupe sans cesse.

( A suivre)


dimanche 3 novembre 2024

En haut (1)

 


Je sais tout de la solitude. Cette compagne fidèle qui chasse l'importun et vous choie comme un enfant unique. Elle est venue il y a longtemps. A part une mouette qui passe de temps en temps pour faire la belle, je ne connais personne. La solitude chasse la poussière et rend chaque instant neuf. Ma vie a des saveurs multiples. Je suis le plus grand collectionneur au monde de couchers de soleil et de tempêtes, et aussi de ces journées plates aussi, quand la mer semble assoupie. On se croirait au Pot au Noir, soudain vide. Je collectionne également tous les sentiments qui vous secouent et que la plupart d'entre nous négligent trop occupés qu'ils sont par mille tâches vaines et même vulgaires (j'ose le dire). Je ne prétends pas être meilleur qu'un autre, mais j'ai beaucoup plus de chance. Mon métier est un gisement de séquences calmes qui supposent la méditation.

JE SUIS GARDIEN DE PHARE . En mer d'Iroise.

(A suivre)


samedi 2 novembre 2024

La phrase romanesque

 Des fois je me traite d'imbécile alors je me réponds : "imbécile toi même !"

(Balthazar Forcalquier)



vendredi 1 novembre 2024

L'aphorisme de la semaine

 Celui qui recule à l'entrée d'un labyrinthe avance vers la liberté.

(Balthazar Forcalquier)