dimanche 7 août 2016
NOUS ETIONS DE FIERS BARBARES
De Buenos-Aires je n’ai jamais rêvé. J’ai toujours préféré Pernambouc et la Patagonie, et aussi l’Afrique… cela va sans dire. Chez nous, le goût des voyages commande de ne pas s’attacher.
Je suis un enfant de cette famille qui n’eut jamais de grenier. Chez nous pas de malles emplies de vieilles redingotes, de fanfreluches roses, ni de sabres poussiéreux. Pendant quelques décennies j’ai en nourri un peu d’amertume.
Chez nous pas de dimanche endimanchés. Notre horizons’appelait « le terrain » où papa construisait une maison pour les siens. J’y fus le minuscule atome d’un Grand Tout, tout juste bon à fureter dans un tas de bois pour trouver la cale idoine, tout juste capable de tenir hors du temps un morceau de ferraille dans la verticalité qu’impose l’étoile polaire (c’est-à-dire l’axe du monde). Je n’ai rien compris de ces années. J’en garde le souvenir d’un interminable ennui. Dans le dédale vide et froid des chambres en gestation.
J’ai retrouvé l’espoir plus tard.
Chez nous, pas de potager bien ordonné. Nous étions mangeurs de viande, pas cultivateurs de cucurbitacées… A peine y avait-il une poignée de radis lâchés dans le parterre d’Impatience, à elle de se débrouiller. Chez nous, le végétal avait un statut à part et très étrange, comme un Dieu qu’on aurait chahuté… papa avait le sécateur meurtrier. Je ne suis pas sûr d’avoir envié les fiers alignements de salades chez les voisins. Nous étions des barbares carnassiers, sans grenier et prompts au voyage.
Chez nous, ce n’était pas comme chez les autres.
Chez nous les saules pleureurs ne pleuraient pas. Chez nous les lustres attendirent des lustres. Chez nous les gens étaient étonnés, et cela ne manquait jamais de me surprendre.
La fantaisie et la droiture étaient nos mamelles à nous. La maison sentait un délicat parfum de tarte aux pommes chaude et de fuel. Chez nous c’était le chaos des choses et l’harmonie des sentiments. Quelle curieuse famille de barbares !
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