mercredi 14 décembre 2016

La très étonnante histoire d'Igor Ribouchiev (3 suite et fin)

Igor d'après Louie Travis















Devenu chiffonnier aguerri et reconnu par ses pairs, Igor Ribouchiev se recycla dans la collecte des chiffons. C'était un rude labeur. A l'époque l'industrie du papier avait grand besoin des tissus jetés. Le vieux mouchoir déchiré, le cotillon usagé, l'étoffe en lambeau partaient dans les usines des bords de l'eau.

Après triage, les chiffons filaient au lissage où l'on retirait les boutons, les agraphes, puis au "dérempoir" où le chiffon était haché menu avant de tremper longtemps dans l'eau. Sur ces beaux papiers les écrivains et les poètes écriraient. Et parfois entre deux sonnets, noyé dans la page apparaîtrait un minuscule morceau de jupon.



C'est donc ainsi qu'Igor Ribouchiev collecta des tonnes de chiffons et qu'il se mit à lire, pour voir d'abord à quoi pouvait bien servir ces masses de nippes qui usaient ses muscles. Avec ses quatre yeux il lisait deux fois plus vite. Il lut tout : les encyclopédies, les romans, les dictionnaires, les annuaires, les poésies bien sûr, les almanachs, les brochures à cinq sous, même quelques libelles anarchistes (sous le manteau), les anthologies, de minces analectes, d'épais miscellanées, des sottisiers, d'abondantes chrestomathies et bien sûr tous les textes sacrés.



( A suivre)

Il refermait son cent douze millième volume quand la vie changea. En effet René-Antoine Ferchault de Réaumur avait bien imaginé que l'on pusse faire du papier avec de la fibre de bois, il avait en effet examiné avec soin le labeur de guêpes qui construisaient leur nid ; mais c'est l'Allemand Friedrich Gottlob Keller qui mit au point le procédé industriel. Dès lors le chiffonnier fut condamné, la forêt vint dévorer son humble industrie. Plus personne n'avait besoin de chiffon ! 
Igor Ribouchiev  avait tellement étudié qu'il quitta sans regret son vieux métier et passa avec brio tous les examens de l'université, rédigea soixante douze thèses, cumula les titres de docteurs, et se spécialisa enfin dans l'étude des idiomes. C'est en partie grâce à lui qu' "A" et moi-même avons tenté de bâtir une nouvelle langue ( voir le conte express de lundi dernier http://sapristi-balthazar.blogspot.fr/2016/12/pas-facile-dinventer-une-langue.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed:+SapristiBalthazar+(Sapristi+Balthazar)).
Igor est enterré au père Lachaise, non loin du mur des fédérés où l'on célèbre aujourd'hui encore la mémoire des camarades de la Commune fusillés lors des journées sanglantes






Plus personne ne vient fleurir sa tombe, sauf nous qui mettons quatre fleurs chaque 4 du mois d'avril.

FIN



Evidence


mardi 13 décembre 2016

La très étonnante histoire d'Igor Ribouchiev (2)

Igor d'après Louie Travis
















A huit ans, et avec ses quatre yeux, Igor Ribouchiev devint chiffonnier. Ce n'est pas un luxe d'avoir deux paires d'yeux quand on fouille les ordures.

Équipé de son crochet, de sa hotte et de sa lanterne, il arpenta les rue de Paris la nuit. Le chiffonnier grattait les tas d'ordures au coin des bornes, car c'est là qu'on déposait les immondices et les nouveaux nés ainsi qu'on a déjà dit ici et hier.


Depuis toujours il en était ainsi, et seule la pâte à papier et l'invention d'une boîte appelé poubelle sonnèrent le glas de cette fantasque profession. Car c'était bien un métier que celui-ci. Un métier de flâneur et d'homme libre. Le chiffonnier habile gagnait plus qu'un ouvrier, et s'il était malin il pouvait même faire fortune. Pas de contremaître, pas de patrons, pas d'horaires ! La liberté GRANDE comme disait l'autre.
Le verre brisé était refondu, le métal aussi bien sûr, les peaux des chiens, chats et rats crevés étaient tannés, les os des carcasses étaient cuits et broyés pour servir de filtre ( c'est ainsi qu'on blanchissait le sucre), les cheveux étaient revendus aux perruquiers. La chiffe avait même sa bourse rue Mouffetard !


Igor fut un expert du verre brisé, ces quatre yeux faisaient merveille dans cet exercice délicat qu'est la collecte sous la lune.
Il récupéra une redingote et même un  noeud papillon. Sans mentir vous l'auriez croisé dans la rue, n'eussent été ses quatre yeux, vous ne vous seriez pas retourné.

Dessin Louie Travis.

Il tenta bien de changer de travail car les longues déambulations dans les rues obscures usaient son grand corps. Comme on sait il est plus difficile de se pencher quand on est grand.
Il tenta de devenir fabriquant de joujoux à trois sous. 



Dans les boîtes de sardines et les chutes de cercueil il taillait ces petites merveilles qui faisaient la joie des bambins pauvres .


Mais l'air des rues, le remugle des coupe-gorge, le calme de minuit, les collègues chiffonniers railleurs au grand cœur lui manquaient. Alors il reprit la chiffe et s'orienta vers le pur chiffon. 
(A suivre)






Des secrets il y en a tant


lundi 12 décembre 2016

La très étonnante histoire d'Igor Ribouchiev (1)

Igor d'après Louie Travis


















Nous avons ici même évoqué le souvenir du Dr Ribouchiev ( voir hier le conte express "pas facile d'inventer une langue"http://sapristi-balthazar.blogspot.fr/2016/12/pas-facile-dinventer-une-langue.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed:+SapristiBalthazar+(Sapristi+Balthazar)). Voilà qui a réveillé bien des réminiscences dans ma mémoire ; et la trajectoire étonnante d'Igor Ribouchiev mérite d'être contée.
Igor était né - comme on disait à l'époque - au coin d'une  borne.



Les bornes dans le Paris de cette époque étaient nombreuses, elles protégeaient les façades des chocs des charrois et énormes voitures qui arrivaient dans les rues à  un train d'enfer sous les hurlements des cochers et les protestations des passants souvent heurtés : os brisés, pieds écrasés, au mieux une luxation. 
On déposait là deux choses : les ordures et les nouveaux nés.
Igor était venu au monde avec quatre yeux. Autant dire que sa vie s'annonçait un peu compliquée en dépit de ces regards doux qui illuminèrent toute sa vie son gracieux visage.



Il fut recueilli par la famille Ribouchiev et fut employé comme domestique dès qu'il sut marcher.


Dessin Louie Travisl


Mychka le père était violent, comme la mère Martha, la fille Huguette et le fils Robin. Battu comme plâtre parfois quatre fois par jour par huit mains différentes, Igor s'enfuit du galetas qui lui servait de chambre dans une sous-cave, dès l'âge de huit ans.
Que pouvait faire un enfant de huit ans dans Paris à cette époque ? Vivre dans le ventre d'une statue d'éléphant comme le raconte Victor Hugo dans "les Misérables" ?

Certes non, la vie d'Igor si elle fut romanesque ne fut pas un roman ( A Suivre)




Faut qu'ça passe



+


dimanche 11 décembre 2016

Un nouveau panneau à Thouars

 

Pas facile d'inventer une langue


"La langue des peuples premiers est complexe et riche parce qu'ils passent leur vie à parler toute la journée. Ils n'ont pas de chefs qui leur interdisent de parler pour être plus rentables à l'usine. Ils ne passent pas leur journée à faire des choses inutiles ou futiles mais à vivre, tout simplement. "

Voilà ce que disait "A", et elle avait raison. Nous décidâmes donc d'inventer une langue de pur plaisir, et pour cela nous fîmes appel à un grand linguiste, philologue réputé expert en étude synchronique : le Dr Ribouchiev.

Le Dr Ribouchiev , une encre de Travis Louie

Nous avons travaillé plusieurs décennies à ce nouveau projet. Hélas il n'avançait pas vite parce que chaque nom, chaque verbe était sujet à mille controverses ( certes charmantes mais épuisantes) et d'infinies discussions ( certes savantes mais épuisantes). Autant dire que nous étions encore loin d'aborder la grammaire ( certes complexe et donc épuisante) !
Nous avons donc abandonné, d'ailleurs Emile Ribouchiev mourut d'épuisement dans la foulée.
 Notre étude n'a produit que sept mots.
"Amiltre" : sieste.
"Vloum" : aimer.
"Niftruc" : sourire.
"Alala" : secret.
" Foultroum" : pente.
"Amilvarine" : coussin.
" Chnik" : oui.

Cela commençait bien pourtant, on n'a pas eu le temps de s'occuper du mot "dommage".

Voilà c'est tout !

samedi 10 décembre 2016

Maman va couiner


La phrase romanesque



Vous n'avez pas le temps de lire. La phrase romanesque est là pour vous aider. Elle est vite lue et votre imagination fait le reste tout le long de la semaine !



Je suis un puzzle, mais je constate attristé qu'il manque des pièces !

(Balthazar Forcalquier)