Chapitre 7
Résumé : Si ça se trouve Montaigne a réussi ses essais !
Il y avait aussi Thomas qui tenait une casse dans un vague terrain tout aussi vague. Il était autant mélancolique qu'il pouvait être drôle. Avec son poste à soudure il bâtissait d'énormes œuvres qui encombraient l'entrée de son dépôt, lequel sentait fort la vieille huile et le carburant rance. Mais lui sentait bon, il se parfumait avec Pour un homme de Caron (par fidélité pour un amour lointain, très ancien et constant). Il était anarchiste. Il aimait tout ce qui explose, du cocktail Molotov à la bombe atomique.
Son auteur préféré était Blaise Cendrars le génial auteur qui disait « Le métier d'homme de guerre est une choses abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie », et aussi « quand tu aimes il faut partir », et aussi « écrire est une mauvaise habitude », et tant d'autres merveilles.
Il écrivait à Marie :
« Je ne crois pas t'avoir jamais parlé de Bakounine. J'avoue, avec un peu de honte, que j'ai pour l'âme russe un peu de défiance dont j'ignore l'origine ; est-ce en raison de mon père qui avait pour les communistes une évidente sympathie ?
Bakounine donc est russe, mais surtout anarchiste. Il avait pour Marx une certaine admiration, disons pour les qualités intellectuelles de Marx, mais il y avait incompatibilité... "Prétendre qu'un groupe d'individus", écrit Bakounine, "même les plus intelligents et les mieux intentionnés sont capables de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire, c'est une telle hérésie contre le sens commun et l'expérience historique qu'on se demande comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir."
Thomas poursuivait sa missive : « La révolution n'a pas besoin de gouvernement qui prenne en charge de futurs lendemains plus ou moins enchanteurs. Voilà l'origine du fossé considérable entre anarchistes et communistes. Fossé qui s'est élargi considérablement, très vite, quand on a vu les bolcheviks prendre le pouvoir. Déjà Proudhon pestait contre :"le système communiste, gouvernemental, dictatorial, autoritaire, doctrinaire, qui part du principe que l'individu est subordonné à la collectivité". L'État est notre ennemi ! »
Ah voilà qui dessale ! Thomas avait écrit une petite histoire de l'anarchie qu'on trouvera en annexe (avec « Neige » et « la Jouissance du Monde » écrits par ses potes Jean et Marc).
Il y avait enfin dans ce groupe Matthieu. Il tenait un magasin d'électroménager-son. Il vendait des machines à laver américaines indestructibles, des réfrigérateurs, des chaînes haute fidélité avec des hauts-parleurs grands comme des buffets et des platines vastes comme des plaines bataves. Il vendait aussi des magnétophones sophistiqués. Il ne lisait que les poètes, ce qui ne l'empêchait pas d'être un compagnon passionnant car il savait mille choses et notamment tout (ou presque) sur la bêtise humaine. Une cliente lui demanda un jour « une télé qui ne permettait pas à la speakerine de voir dans son salon ». Elle était jalouse et redoutait que « Madame météo » lui vole son galant.
Il écrivait à Marie :
« Ce matin l'air était d'une douceur extrême. Je pense à ceux du ghetto de Varsovie. Ils étaient soumis à des déportations constantes, alors ils ne pouvaient pas entamer de gros romans. Ils ne lisaient pas Tolstoï, ils ne lisaient que de la poésie qui est la littérature d'urgence. J'y pense souvent. Je ne cesse de lire et relire une « Saison en Enfer ». Quand la sœur de Rimbaud écrivait à son frère employé de commerce à Aden que ses poésies commençaient à avoir du succès, Arthur répondait : « Ne me parlez plus de ces rinçures ! »
Tous dans ce groupe de plus en plus uni étaient célibataires et sans enfant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire