dimanche 13 septembre 2020

Secousse (5)

 



Résumé : Esprit de contradiction es-tu là ? NON !


Le groupe était donc composé, en plus de Marie, de Luc, rasé de frais, porteur d'une cravate noire, et triste. Il était devenu pharmacien par hasard, il buvait énormément des alcools rares et des liqueurs vulgaires. Il ne souhaitait qu'une chose : mettre du fluide dans ses synapses. Seul(e)s ceux ou celles qui boivent savent cela. Il s'ennuyait le dimanche, n'aimant pas le foot, ni le rugby, ni les boules, ni la chasse, ni la pêche. De plus, le dimanche à Thouars, la plupart des bistros sont fermés. Luc était célibataire. Il était l'inventeur du dictionnaire universel. Voici comment cela s'articulait : moi c'était 1, toi c'était 2, vous c'était 3, boudin aux pommes c'était 4.212, j'aime c'était 4. Ainsi 1- 4 – 2 voulait dire « moi aime toi ». Ou bien 3 – 4 – 4.212  voulait dire « vous aimer boudin aux pommes ». Avec ce système on pouvait échanger avec des Inuits ou de Papous. Sans bien sûr tenter de rivaliser avec le style de Marcel Proust ou la vacuité de Marguerite Duras.

Il écrivait à Marie :

« J'ai vu le printemps dans un arbre vendredi, et une joie profonde, intime et très douce m'est montée dans le corps. « Enfin ! » me suis-je dit. Je serais volontiers juif s'il n'était pas question pour moi d'un dieu créateur, je veux dire créateur du ciel et de la terre. Si j'étais juif je fêterais Pourim, (la fête des hasards et des masques), car je sais que rien ne va sans le hasard ni la dissimulation. Pourim : dans les maisons d'étude le professeur laisse sa place au plus médiocre. Car, de lui aussi, on peut apprendre. Quelle belle pratique. Pourim : on doit boire jusqu'à tomber par terre d'ivresse. On doit perdre le sens commun et devenir, je crois, un homme sans passé ni avenir. Un homme libre en somme. Sénèque dit : « on ne découvrirait rien si on se contentait de découvertes déjà faites. D'ailleurs à suivre un autre on ne trouve rien.» Or quelle plus belle occasion que d'explorer l'inconnu que de perdre le sens commun ?Nous parlerons joyeusement de la mort vendredi prochain. »

Il y avait aussi Jean qui était devenu notaire par hasard (peut-on le devenir par passion ?). Il buvait du café, du café estampillé « Balzac » mais ce n'était qu'un ersatz (il y avait longtemps que les terroirs des cafés rares avaient été fondus dans le commerce international). Il aimait Rimbaud aussi (qui surveillait au Yémen le tri du café avant « d'aller trafiquer dans l'inconnu »). Sa passion était les insectes, il était entomologiste comme Ernst Jünger dont il adorait le livre « les Falaises de Marbre ».

Jean était sec et amer.

Il avait écrit un récit « Neige » qui se déroule à Thouars et dont on trouvera copie en fin de ce livre.

Il écrivait à Marie :

« En attendant, il fait un froid de gueux. Sur la plaine ce matin des lames de rasoir étaient cachées dans le vent. Je lis en ce moment la correspondance de Mozart qui écrit cette étrange confidence : «  Je me rassieds, je recommence à écrire et voilà que j'entends quelque chose. Je me relève, et je n'entends plus qu'un faible bruit. Je sens alors une odeur de brûlé, partout où je vais ça pue. Si je vais à la fenêtre l'odeur se perd, si je rentre la tête dans la pièce l'odeur reprend. A la fin maman me dit «  qu'est-ce que tu paries que tu en as laissé échapper une »(une caisse). «Je ne crois pas maman ». « Si, si, certainement. » Je veux en avoir le cœur net, je fourre mon doigt dans mon cul puis sous mon nez : la maman avait raison ! » Mozart avait pété ! La scatologie était joyeusement servie au XVIIIe, dans les familles de la petite bourgeoisie, en revanche il était absolument tabou de parler de sexe. J'imagine que Mozart qui parle volontiers de ses « crottes » aurait été scandalisé de voir la couverture de « Penthouse » ! Vive la liberté nom de Dieu ! »

( A suivre)

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