mercredi 5 novembre 2014

Conte express : une fois par an

 

Certes la vie de Marcel Grasmifle n'était pas réjouissante. Tous les jours de la semaine il se levait tôt pour filer vers l'abattoir municipal où il nettoyait, à longueur d'année, les viscères chaudes des bovins. Avec le temps le remugle du sous-sol où il opérait imprégna sa peau. Marcel puait. Marcel était méprisé. Marcel était seul, sa femme ayant préféré les doigts agiles du tueur dans le même abattoir. Néanmoins, il existait une période dans l'année, durant laquelle Marcel devenait un pur héros, un grand monsieur, un personnage dont chacun cherchait la précieuse amitié. Le croiriez-vous, Marcel était alors courtisé, et par les notables même de la ville qui lui donnaient du " cher ami" du "passez donc prendre un verre"?


Photo de mariage ( dessin de Louie Travis)

Car  Marcel était un champion de la cueillette des champignons. L'automne était sa saison divine. Les cèpes les plus rares, les morilles, les truffes, la sublime et rare oronge des césars : il savait tout de leurs mystères et des caches... Il connaissait les halliers secrets. Il était généreux. Il donnait volontiers ses paniers merveilleux... Et le gel venu il retombait dans sa solitude et sa puanteur. Son caractère était doux. Il n'en voulut jamais à personne. Il se contentait de ces quelques semaines de belle vie pour supporter les mois atroces.
Il ne connaissait pas Sénèque mais il aurait sans doute rougi en écoutant ce sage précepte : " le pauvre n'est pas celui qui a peu, mais celui qui n'a jamais assez". Marcel avait juste assez pour ne pas mourir de honte.
Voilà c'est tout.

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