mercredi 2 janvier 2019

Petites annonces

musique d'accompagnement de la lecture puisqu'elle a accompagné l'écriture



Dessin : Louie Travis




Oui c'est vrai, c'est vrai Marcel Bigeack n'était pas beau. Et c'est vrai son haleine rappelait le remugle des fosses médiévales ( si l'on peut dire). Et oui aucune fille n'osa jamais l'embrasser. Il était timide. Sa vie était fade. Comme il gagnait banalement sa vie comme garde barrière, il put s'offrir d'honnêtes dépenses après des lustres de solitude et d'épargne.
Il pensa à envoyer aux journaux des petites annonces encadrées ( les plus chères). Oh je vous vois d'ici ... pas des petites annonces pour trouver une âme soeur, ou pire une compagne de quelques minutes tarifées. Non, Marcel Bigeack n'était pas de cette eau. 

Sa première annonce, publiée parce que payée, fut celle-ci :
"Recherche brume première main". Elle passa inaperçue entre les autres annonces ordinaires"Vends bois fendu, 40cm" et " achète oeufs frais de la veille". 
La suivante de ses annonces aussi ne fit aucun bruit non plus: " vends silence, jamais servi". Chaque semaine il envoyait son  annonce et attendait avec impatience sa parution : " à louer quelque chose qui ne rentre pas dans la poche mais peut aisément remplir une vie".
La secrétaire du journal, peu à peu, attendit avec impatience son appel le mercredi matin pour l'édition du samedi. Elle se mit à aimer ce poète si humble et si doux qui appelait d'une voix grave à 9 h 41 précises juste après le passage du rapide Charleville-Mézières/ Lisle-sur-la-Sorgue.Ce fut l' unique et ignorée amoureuse de Marcel.
Dans la ville un érudit, las de Mallarmé, tomba par hasard sur " Besoin de rien mais indispensable en vain ". La semaine suivante sur "scie sauteuse cherche barre à mine pour relation platonique, philosophe et bricoleur s'abstenir". Il vint consulter la collection au journal, interrogea la secrétaire qui soupirait et battait du cil à chaque réponse.
Il recueillit ainsi 1.427 annonces de la même encre. Estourbi l'éditeur se dit in petto : "je dois publier cela". Il commença par publier un avis ainsi libellé : " vous qui passez ces annonces merveilleuses je veux en faire un recueil, venez me voir : 18, rue de la machine à rien, 79200 Bressuire".
Marcel lut l'annonce et son coeur fit un tel bond qu'il mourut à l'instant. C'était un mercredi soir. Sa dernière annonce parue le samedi matin :
" Vends machine à découdre, aspirateur cracheur, batteur à caresse, perceuse à boucher les trous, pinces à relâcher ".

Voilà c'est tout.

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