dimanche 18 décembre 2022

Quand j'étais hobereau

 




En ces années 1800 la Sologne était un pays perdu, loin de tout, soumis aux fièvres malignes. Je vivais alors dans un château caché au fond d'un bois profond, loin de la route chaotique qui reliait Neung à Lamotte. Nous vivions de peu, les récoltes de seigles étaient maigres, la vente des carpes sorties des étangs payait à peine les paysans qui voulaient bien s'y pencher. Seule la chasse avait quelques qualités et mes ennemis les braconniers ne me laissaient guère de répit. Les hivers étaient médiévaux. Mon épouse ne m'a pas donné d'enfants, elle était triste et pieuse, alors j'ai vieilli dans la solitude, furieux à l'idée de laisser ma gentilhommière à mon cousin, ce grossier commerçant en laine qui faisait fortune à Blois pendant que nous comptions ici chaque pièce de monnaie. Un jour alors que je galopais sur les traces d'un dix cors et que j'allais enfin pouvoir le mettre en joue, soudain il s'arrêta, se retourna et me regarda avec un air de mépris stupéfiant. 
Puis il est parti, au pas. J'ai compris que j'étais devenu très vieux et surtout parfaitement inutile. Il était trop tard pour tenter une aventure en Louisiane. Alors je suis rentré, je me suis couché, et je suis mort dans la nuit, sans regret.
Voilà tout.

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