Bonnie Colin donne à voir le monde.
Vibrations des lignes et des objets
Elle dit qu'elle n'a pas fait les beaux-arts et que cette expérience lui manque. Elle dit que cela la fragilise. Moi je me dis qu'elle a bien fait, les autres chemins suivis n'ont pas enfermé l'artiste comme un oiseau en cage, elle a échappé aux manies et aux trilles répétées. Elle conserve de ses expériences le savoir-faire humble des artisans attentifs. Dans ce creuset elle restitue des tableaux paisibles faits de vibrations et de vents. Sans doute un animal doit voir le monde comme elle le représente, sans personne, sans rien d'autres que des frondaisons, des tonnelles, des treilles, des fougères, des roseaux d'oiseaux, des gîtes ombreux, sans homme. Ces peintures font un bien fou, loin du tumulte et de la bêtise.
A celui dont la mélancolie tord le cœur je dis : baisse ton bouclier et entre là ! Arpente les sentes et regarde.
Le problème – peut-être - avec une toile de Bonnie c'est que chez vous, il faudra repeindre la pièce qui l'accueillera. Car ce tableau a besoin de bonne compagnie, d'une belle nuance claire. Mais cela vaut le coup. Vous pourrez dire : « Le tableau de Bonnie n'aimait pas le violet de la chambre, j'ai repeint les murs en ambre (ou absinthe), c'est le tableau qui a voulu cela. » Heureux celui à qui c'est arrivé !
Mais Bonnie c'est aussi autre-chose. Elle compose des bandes colorées repliées soigneusement dans un carnet. Des petits bonshommes chahutent, des paysages défilent, des pluies mouillent les prés ; des histoires défilent, des histoires que vous même saurez lire, inventer, renouveler au gré de vos intimes émotions. Ce ne sont pas des esquisses, ce sont des sortes de poèmes sans mots. On peut les glisser dans la poche. J'imagine une femme qui s'assied sur la falaise et déplie le calepin pour la centième fois, et puise là dans le vent de noroît les rudesses des marins hauturiers qui font un signe de croix en abordant le cap Horn ; ou bien elle soupire à l'évocation d'un amour si pur qu'il fut toujours platonique ; ou bien encore elle sourit à des souvenirs de fillettes. Chaque œuvre résonne selon l'instant et improvise. C'est inouï.
Mais Bonnie c'est encore autre chose comme ce panneau de douze dessins érotiques au fusain. Voilà qui est périlleux car la chair ne suffit pas à exprimer les extases. Il s'agit de traduire le grand mystère, de « faire le deux UN » comme le dit l'évangile apocryphe de Thomas (dans son logion 22)
« Lorsque vous ferez le deux Un et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur,
l’extérieur comme l’intérieur,
le haut comme le bas,
lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique,
afin que le masculin ne soit pas un mâle
et que le féminin ne soit pas une femelle,
lorsque vous aurez des yeux dans vos yeux,
une main dans votre main
et un pied dans votre pied,
une icône dans votre icône, alors vous entrerez dans le Royaume ! »
Voilà la non-dualité ! Voilà pourquoi ce panneau est précieux.
Mais Bonnie c'est encore autre chose c'est une faiseuse de lutins, ou de fétiches, ou de pantins, ou de … On ne sait pas trop qui sont ces mystérieux personnages qui ricanent, grincent, embrassent, sourient ; figurines goguenardes ou tendres. Vêtus de toile rêche cousue de gros fils ils veillent sur nous. Là encore la magie agit, ces doux monstres de céramique entendront vos confidences et vos prières barbares, partageront vos rituels secrets.
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