Dans le monde d'Alexandre
Les toiles d'Alexandre sont des halliers profonds où percent des fleurs rose.
Il me semble que d'ordinaire les peintres évitent le rose, à part Gauguin bien sûr qui en fait des fêtes barbares et audacieuses d'une étourdissante tendresse.
Vert et rose, ce que cela raconte
Les œuvres d'Alexandre sont des cascades végétales. On n'a jamais vu cela ! Des balades dans la canopée, des explorations dans les mers peuplées d'algues qui oscillent mollement loin des courants juste en-dessous de la « horse-line » où les matelots jadis jetaient les chevaux par-dessus bord pour alléger leur misérable coque. Les chevaux pénétraient alors dans les fastueuses pâtures des hauts fonds et devenaient immortels loin des hommes grossiers.
Alexandre explore sans cesse le vert cette couleur si nuancée qu’elle remonte à loin : l'Ordovicien supérieur, il y a 500 millions d'années. Bien avant l'homme et la feuille de vigne, juste après la chlorophylle. Céladon, glauque, smaragdin, jusqu'au Véronèse, et puis tant d'autres déclinaisons ... le vert arpente non sans malice, toutes les émotions. Néanmoins c'est une couleur dangereuse et mangeuse d'hommes, des crocs et des griffes peuvent s'y embusquer. Il faut traiter cette nuance avec amour et science pour se permettre de puiser en elle des souvenirs si lointains, des réminiscences de jungle et de savane, de couches sauvages et de fragrances légères. Sans cesse Alexandre peint ces panneaux mystérieux. C'est plus fort que lui. Il confie « j'aimerais bien m'en défaire », mais non ! il obéit et se soumet à cette quête impérieuse dont il nous offre les plus intimes replis.
Je ne sais pas comment se produit cette alchimie mais cette aventure trouve des échos chez celui qui regarde. Les fuchsias, les capucines, les nacarats festonnent les verts de futaies sur un rythme de mélodies antédiluviennes. On a envie de franchir ces frontières séculaires et entrer dans les tableaux.
L'homme moderne y retrouve d'antiques et très pures émotions. Une paix simple, une sorte de béatitude animale qui sait encore savourer un effluve de pivoine, une suavité d'acacia, le friselis d'une brise, la paix absolue des racines et des feuilles.
Les artistes qui savent encore transmettre de tels secrets sont rares.
Un mouvement et un repos, comme un exercice spirituel.
Quand il pose sa palette, Alexandre saisit la pointe à graver. Un art hélas en désuétude par les temps vains qui courent. Sur le cuivre l’artiste a ouvert naguère des brèches pour raconter d'autres histoires, des « rabelaiseries » ou des scènes ésotériques peuplées de squelettes et d'obèses ; on pense à Brueghel, lignée subtile et rustique qui sent le vin, la sueur et l'amour. Depuis, Alexandre a orienté son burin vers d'autres horizons sur un autre support, l'aluminium : il traque des formes lointaines, des sortes de galaxies perdues dans des nuages de gaz. On voit que c'est la même main à l’œuvre, la même quête émouvante et charnelle.
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