Henri était chimiste, mais il aurait voulu être poète. Il s'enferma des années entières, le soir, dans son laboratoire après ses cours devant des élèves stupides au lycée Balzac de sa ville de province. Une ville mouillée de pluie la plupart du temps. Il découvrit ainsi la recette du gaz qui inspire l'écrivain. Un gaz à base de ... chut ! auquel il fallait ajouter six mesures de ... chut ! et un demi tube à essai de ... chut!
Chaque phrase tracée de sa main rougie ( un effet du gaz) était un alexandrin. Mieux encore un poème à elle toute seule :
"Jadis, même les rois s'éclairaient à la bougie"
"Je laisse, au fond du jardin, pousser les orties"
Le gaz avait de surcroît l'effet d'un alcool à marin.
"J'ai goûté les roches, les plus noires étaient salées"
"Qui connait la sieste lourde des papillons de nuit ?"
Plus il inhalait plus il s'enivrait, plus il écrivait d'étranges et belles phrases balancées en douze pieds.
"Aux papillons de nuit hardis les fleurs suaves""Quand tout s'arrête, alors soudain tout s'effondre"
Henri abusa. Sa main trembla. Il devint rouge souvent, pour un rien. Et sa peau se couvrit peu à peu de croûte nauséabondes. Les filles charmées par ses phrases pouvaient-elles imaginer le prix insensé de cet effort ? Un jour dans son masque il vit passer la faucheuse.
"Elle va sans fatigue tailler dans le vif des vies"
Ce fut sa dernière phrase. Le gaz est bien cruel.
Voilà c'est tout
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