Dans les mines du nord, après les Polonais, les Espagnols, les Italiens... il n'y avait plus grand monde pour descendre en bas. Alors ils sont venus nous chercher au pays du soleil. Dans mon village de l'Atlas, moi le Berbère à la peau déjà noir, j'ai pris le bateau après avoir signé un papier. Enfin ... signé ... je ne savais pas écrire alors j'ai mis un doigt dans l'encre. Cela nous a bien fait rire avec mon pote Bahsis . C'était au milieu des années soixante. On a vomi dans le bateau.
On est arrivé dans une gare puis dans un train, et puis il s'est mis à pleuvoir. Arrivé tout là haut en France on a trouvé des baraques en bois, sans chauffage. Et puis je suis descendu dans la mine.
Nous autres mineurs venus du Maroc nous n'avions que le droit de "fermer notre gueule" comme disait le contre-maître (qui comme chacun sait n'est pas contre, mais pour les maîtres). J'étais si malheureux que, des fois, je ne voulais pas remonter... Pourquoi faire ? Pour voir le ciel gris ? Pour voir le regard dégoûté des filles blondes ? Pour frapper en vain à la porte du syndicat qui nous disait : "ben oui les gars, votre contrat est mal foutu, on ne peut rien pour vous, déjà qu'on a du mal à faire reconnaître la silicose pour les nôtres !" Pour "les nôtres" disait le gars du syndicat. Nous, nous étions sous les mineurs, plus bas encore.
Un soir sans rien dire à personne je suis parti, c'était un samedi soir. J'étais resté longtemps. J'avais honte de revenir à la maison. Au téléphone deux fois par an je leur disais "qu'ici c'était beau et qu'on était heureux comme tout." Alors je ne suis jamais rentré. Je suis vieux et je sers des Kebabs à Paris dans une boutique minuscule qui pue la vieille huile.
Je touche 200 € de retraite de mineur. Bahsis lui est mort mangé par une haveuse sa mère a touché : 2.000 F de l'époque. Elle a ouvert une petite épicerie au bled je crois.
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