lundi 23 septembre 2024

Un bol de lait créole (12)

 


 

Le rouge des fleurs est celui du sang, le vert sans nuances, le noir d'ébène. J'aime cette franchise, ce pays est le mien. Pas de nankin, aubère, porracé, céladon, colombin, etc, toutes ces nuances inventées pour amollir les goûts, affadir les émotions. Ici c'est la vérité voluptueuse. J'aborde un môle pourri et j'entreprends de rebaptiser mon bateau, j'efface «  grand coeur » et j'écris à la place « VOLUPTUEUX ». Je sens que cela lui fait grand plaisir.

Un matin je croise un cargo perché tout en haut sur la cime des arbres. Je me souviens que Blaise Cendrars évoquait ces rencontres extravagantes. Il dit que ce sont les conséquences des crues soudaines et les masses d'eau qui déferlent sur la forêt jusqu'à la noyer sur des étendues considérables. Alors les marins abandonnent le vapeur et laisse à bord un seul homme en attendant la prochaine crue qui ramènera l'embarcation au port. Il peut patienter deux ou trois ans dans la solitude totale. Il ne devient pas fou, rien de semblable à l'océan que cette gigantesque étendue de feuilles. Il est heureux là haut, tranquille comme un oiseau, et bien souvent refuse de descendre si l'on vient le chercher. 

J'appelle, je joue de la corne de brume, mais rien ne bouge dans le ciel. Le marin n'est plus là ou bien il se cache.

(A suivre)

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